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Caberletti 04/04/2010

Coram  CABERLETTI

 Exclusion du bien des enfants

 Tribunal régional de Campanie (Italie)

4 mars 2010

P.N. 20.006

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. VALEUR DU BIEN DES ENFANTS
  1. L’ALLIANCE CONJUGALE EST ORDONNÉE AU BIEN DES ENFANTS

 

III. LA PERVERSION DE LA SUBSTANCE DU MARIAGE

  1. Par la société
  2. Par le contractant

 

  1. LA PROCRÉATION « DANS SES PRINCIPES »

 

  1. LE DROIT ET L’EXERCICE DU DROIT

 

  1. L’EXCLUSION TEMPORAIRE DU BIEN DES ENFANTS
  2. Elle peut avoir l’aspect d’une condition
  3. Le déni du droit du conjoint
  4. Le report de la procréation à une époque indéfinie

 

VII. LE RÔLE DE LA VOLONTÉ

 

VIII. LA POSITIVITÉ DE L’ACTE D’EXCLUSION

 

  1. LA PREUVE DE L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS
  2. Principes généraux
  3. La preuve directe
  4. La preuve indirecte

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Lucia G., née le 12 octobre 1968, et Michele A., né le 13 juillet 1963, se marient le 7 juin 1992. Les jeunes gens s’étaient rencontrés en décembre 1990 et s’étaient épris l’un de l’autre.

 

En janvier 1992 Michele avait rencontré de grandes difficultés économiques, ce qui avait créé des tensions entre les parties, mais comme leur décision de se marier était déjà prise, Lucia avait accepté le mariage.

Plusieurs fois les époux se séparent et en 1999, Lucia met fin à la vie commune. La séparation est ratifiée par le Tribunal civil le 25 février 2000 et le divorce est prononcé le 22 juillet 2003.

 

Entretemps Lucia avait présenté un libelle et le 6 novembre 2000, le doute avait été concordé sur le chef de simulation du consentement pour exclusion du bien des enfants de la part des deux conjoints. Le 19 février 2003, la sentence de 1° instance est affirmative, mais seulement pour exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse demanderesse. Le Tribunal de seconde instance admet la cause à l’examen ordinaire du second degré, concordant le doute sur l’exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse. Sa sentence du 31 mars 2006 est négative. L’épouse fait appel à la Rote, où le Tour reprend le même doute que celui de la seconde instance.

 

 

EN  DROIT

 

  1. VALEUR DU BIEN DES ENFANTS

 

  1. « Dieu lui-même est l’auteur du mariage, qui possède en propre des valeurs et des fins diverses »[1] et le rang le plus important est celui du bien des enfants : « L’enfant est la chose la plus essentielle du mariage […], de même que pour l’homme la nature humaine est plus essentielle que la grâce, bien que la grâce soit plus excellente »[2]. « La fin primaire du mariage est la procréation et l’éducation des enfants » (CIC 1917, c. 1013 § 1). « La première place parmi les biens du mariage est tenue par la procréation. Et en vérité le Créateur du genre humain lui-même […] a voulu dans sa bonté avoir recours à l’aide des hommes pour la propagation de la vie »[3].

 

Le Concile Œcuménique Vatican II a évité le langage technique, en choisissant la voie pastorale, et c’est pourquoi il n’a pas voulu reprendre explicitement la hiérarchie des fins du mariage[4], mais le Concile n’a absolument pas rejeté la supériorité du bien des enfants, puisqu’il déclare : « C’est par sa nature même que l’institution du mariage et l’amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l’éducation des enfants qui, tel un sommet, en constituent le couronnement […]. Le mariage et l’amour conjugal sont d’eux-mêmes ordonnés à la procréation et à l’éducation des enfants »[5].

 

Par ces paroles se fait entendre assurément le Magistère antérieur de l’Eglise, qui regardait déjà le mariage sous l’aspect personnaliste : « Il est profondément humain que les époux voient et trouvent dans leur enfant l’expression véritable et plénière de leur amour réciproque et de leur don mutuel »[6].

 

C’est pourquoi l’ordonnancement à la génération et à l’éducation des enfants doit être considéré comme un élément essentiel de la communauté de vie conjugale, parce que la substance du mariage et sa nature contiennent cet ordonnancement (cf. c. 1055 § 1 et c. 1096) : « L’ordonnancement du droit et de son obligation relative d’accomplir l’acte conjugal pour la génération des enfants appartient à la substance du mariage »[7].

 

 

  1. L’ALLIANCE CONJUGALE EST ORDONNÉE AU BIEN DES ENFANTS

 

L’alliance conjugale, par les actes « qui réalisent l’union intime et chaste des époux »[8], est ordonnée ontologiquement à la génération d’enfants et donc elle est, téléologiquement, portée vers elle : « Puisque l’ordonnancement au bien des enfants appartient à la structure ontologique de l’alliance matrimoniale elle-même, qui en conséquence est dite communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel à la génération et à l’éducation des enfants (c. 1055 § 1), et qu’il appartient aussi à la structure ontologique de l’acte d’amour conjugal apte par lui-même à la génération d’enfants, ‘auquel le mariage est ordonné par sa nature et par lequel les époux deviennent une seule chair’ (c. 1061 § 1), il s’ensuit nécessairement que cet ordonnancement à la transmission du don de la vie humaine constitue un élément essentiel du mariage »[9]. « Puisque donc la fécondité structurelle (fécondité de droit), mais non la fécondité effective (fécondité de fait), appartient à l’essence de l’acte conjugal et constitue sa structure ontologique, personne ne peut validement restreindre à son gré le droit conjugal »[10].

 

III. LA PERVERSION DE LA SUBSTANCE DU MARIAGE

 

  1. Par la société

 

  1. Il n’est permis ni aux dirigeants politiques ni à ceux qui se marient de pervertir la substance du mariage : « Dans le choix d’un genre de vie, il n’est pas douteux qu’il est au pouvoir et au libre arbitre de chaque personne de préférer, ou bien de suivre le conseil de Jésus-Christ au sujet de la virginité, ou bien de s’obliger par le lien matrimonial. Enlever à l’homme le droit naturel et premier au mariage, et restreindre d’une façon ou d’une autre la cause principale du mariage, constituée dès le début par l’autorité divine, aucune loi humaine ne le peut. ‘Croissez et multipliez-vous’. Voilà donc la famille, ou la société domestique, certes toute petite, mais véritable société et antérieure à toute cité »[11].

 

  1. Par le contractant

 

Cependant, bien que « la communauté sacrée du véritable mariage soit constituée en même temps par la volonté divine et la volonté humaine »[12], celui qui se marie est l’auteur du contrat conjugal, et donc il a le pouvoir de pervertir l’objet essentiel du mariage, établi par l’Auteur Divin du mariage, par l’exclusion du bien des enfants : « si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent […] un des éléments essentiels du mariage […] elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Assurément l’objet de l’exclusion est la fécondité structurelle de l’alliance conjugale (cf. c. 1055 § 1), qui doit être acceptée par le contractant en assumant le droit et l’obligation aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants.

 

  1. LA PROCRÉATION « DANS SES PRINCIPES»

 

La procréation, vue en elle-même, se rapporte au mariage in facto esse (le mariage-état de vie), c’est-à-dire « à l’usage du mariage par lequel […] la procréation s’accomplit »[13] et en aucune façon elle n’est nécessaire pour qu’il y ait mariage, « parce que l’essence d’une chose ne dépend pas de son usage »[14]. Si toutefois la procréation est considérée « dans ses principes »[15], c’est-à-dire dans l’émission du consentement conjugal, par lequel celui qui se marie doit assumer l’objet essentiel du mariage pour constituer le mariage, l’intention de la procréation doit être présente, au moins implicitement, sans laquelle « le mariage ne peut pas exister […]. Si quelque chose de contraire à cette intention était exprimé dans le consentement qui réalise le mariage, il n’y aurait pas de véritable mariage »[16].

 

  1. LE DROIT ET L’EXERCICE DU DROIT

 

La distinction entre le droit et l’exercice du droit a donc été toujours gardée dans la doctrine et la jurisprudence[17], même si un courant particulier contre cette séparation s’est fait jour récemment dans Notre Ordre[18]. Pour la validité du mariage en effet la volonté de s’obliger est nécessaire et suffisante, alors au contraire que l’exécution de l’obligation ne touche pas par elle-même la substance de l’objet du consentement conjugal, selon la sentence claire et concise de Benoît XIV : « Ne répugne pas à la substance du mariage le non-usage de celui-ci, mais le fait de ne pas pouvoir en user »[19].

 

Toutefois si l’un des contractants veut restreindre l’accomplissement ou l’exercice du droit selon son bon vouloir, en privant l’autre de son droit propre, il en ressort un indice très fort de l’exclusion du droit lui-même : « Si dès la conclusion du mariage l’un au moins des conjoints avait eu l’intention de restreindre aux périodes de fertilité le droit matrimonial lui-même, et non pas seulement son usage, de sorte que les autres jours l’autre conjoint n’aurait pas même le droit de demander l’acte, cela impliquerait un défaut essentiel du consentement matrimonial »[20]. Dans ce cas celui qui se marie décide de garder en son pouvoir le droit aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants, viciant ainsi l’objet essentiel du consentement conjugal parce qu’est enlevé à la communauté conjugale l’ordonnancement qui lie toujours et pour toujours : « Tel est l’enseignement constant de l’Eglise ; elle a rejeté toute conception du mariage qui menacerait de le replier sur lui-même, d’en faire une recherche égoïste de satisfactions affectives et physiques dans l’intérêt des seuls époux […] Jamais il n’est permis […] d’exclure positivement […] l’intention procréatrice »[21].

 

  1. L’EXCLUSION TEMPORAIRE DU BIEN DES ENFANTS

 

Comme le droit et l’obligation qui se rapportent aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants sont perpétuels, non seulement l’exclusion perpétuelle du bien des enfants rend nul le consentement conjugal, mais encore son exclusion temporaire empêche la constitution du mariage, sauf s’il s’agit d’un simple report à plus tard, qui appartient seulement à la régulation de l’exercice du droit.

 

 

 

  1. Elle peut avoir l’aspect d’une condition

 

L’exclusion temporaire du bien des enfants est presque toujours faite sous l’aspect d’une condition : « Par le contrat matrimonial n’est pas donné purement et simplement un droit réel, c’est-à-dire le droit au corps, qui est le pouvoir sur le corps, mais est donné le droit à l’usage du corps pour un usage déterminé, c’est-à-dire en relation aux actes véritablement conjugaux. De même donc qu’on ne peut donner le droit à l’usage d’une chose sans le droit d’user de cette chose, de même on ne peut pas donner le droit au corps en relation aux actes conjugaux sans le droit d’user du corps lui-même en relation à ces mêmes actes. Par la condition d’exclure ces actes, c’est-à-dire l’usage du droit à ces actes, on supprime le consentement et donc le droit à ces actes. En conséquence celui qui se marie sous la condition d’exclure l’usage du droit aux actes conjugaux, donne le droit à l’usage sans le droit à l’usage, c’est-à-dire sans droit à la même chose, ce qui est contradictoire »[22].

 

  1. Le déni du droit du conjoint

 

Puisque le droit aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants est perpétuel, l’intention, même pour un temps seulement, de nier ce droit qui s’accomplit par l’usage du corps, est contraire au bien des enfants. « Si quelqu’un ose se réserver, à son gré et à son bon vouloir, si, dans quelle mesure et quand il engendrera peut-être un enfant, en oubliant et méprisant complètement les droits de son conjoint, et en se considérant lui-même comme l’unique source de droit dans le domaine conjugal, même s’il affirme qu’il n’est pas hostile à la procréation d’un enfant, il rend nul son mariage parce que cette façon de faire non seulement constitue une dénégation du droit de son conjoint, mais bien plus, une dénégation de la remise du droit à ce même conjoint »[23].

 

  1. Le report de la procréation à une époque indéfinie

 

Enfin si la procréation est reportée à une époque indéfinie, on peut conjecturer une présomption de l’exclusion du droit lui-même. « Si cependant l’acceptation d’un enfant est différée à une époque absolument indéfinie, il s’agit plutôt d’une exclusion substantielle du bien des enfants »[24].

 

VII. LE RÔLE DE LA VOLONTÉ

 

  1. Puisque le consentement est un acte de volonté (cf. c. 1057 § 2), ce n’est que par sa volonté propre que le sujet agent peut priver le consentement de son objet essentiel.

 

Le Législateur, pour définir la nature particulière de l’acte d’exclusion, détermine son espèce par la formule « acte positif de volonté » (c. 1101 § 2). En effet « ce qui est requis par la loi dans un acte positif de volonté lors de la simulation, selon le c. 1101 § 2, c’est une exigence fondamentale de correspondance avec la nature de l’acte positif de volonté qu’a le véritable consentement, selon le c. 1057 § 2, du fait que la volonté simulatrice est précisément son équivalent, quoique négatif »[25].

 

Bien que rien n’est voulu qui ne soit d’abord connu, il ne suffit pas, pour réaliser une exclusion, qu’il y ait des actes de l’intelligence, comme des erreurs, des jugements, des opinions, des prévisions, mais il est nécessaire que le sujet use de la faculté de la volonté. Ensuite le contractant, par sa volonté, doit agir en réalité pour rejeter le bien des enfants de l’objet de son consentement. Pour accomplir une action de ce genre la volonté dite habituelle, les mœurs, les façons de se conduire, sont sans effet.

 

Tant l’acte de l’intelligence que la volonté habituelle peuvent être seulement cause de la simulation, sans qu’ils ne deviennent un acte de volonté de simulation.

 

VIII. LA POSITIVITÉ DE L’ACTE D’EXCLUSION

 

Le troisième élément, c’est-à-dire la positivité, semble signifier comme la force et la fermeté de la volonté[26] et en vérité il s’oppose à l’inertie, c’est-à-dire au défaut du choix délibéré, ou à quelque chose de négatif, non-existant, parce que la volonté n’agit pas. La positivité réclame expressément quelque chose : « L’acte positif de volonté en effet ne peut pas tendre vers quelque chose d’indéterminé et de vide, mais il doit tendre vers quelque chose de déterminé et certain, comme l’est l’exclusion du mariage lui-même, ou d’un de ses biens ou d’une de ses propriétés essentielles »[27]. « Selon la jurisprudence établie il faut considérer comme n’ayant aucune capacité d’irriter le mariage, les seuls états de l’intelligence, comme des idées contraires au mariage, ou même les seuls états de la volonté, s’ils n’arrivent pas au niveau d’une détermination véritable et ferme de la volonté »[28].

 

Par l’acte positif de volonté se forme une rupture entre l’intention de celui qui se marie et la loi établie par le Divin Auteur du mariage, et c’est pourquoi, bien que le contractant s’imagine réaliser un mariage, l’alliance conjugale ne peut en aucune façon exister et donc la communauté de toute la vie (cf. c. 1055 § 1) ne se fonde en aucune manière : « Dans la simulation partielle […] le sujet ne donne pas existence à une fiction. Tout au contraire non seulement il n’exclut pas le contenu et les effets de la manifestation du consentement, mais il peut très bien se faire qu’il les veuille, au moins en général […]. L’objet de ‘l’acte positif de volonté’ d’exclusion est ainsi seulement un aspect du mariage […]. Quand il y a une simulation partielle […] il y a toujours un manque de correspondance entre la volonté matrimoniale du sujet et celle de l’ordonnancement juridique canonique »[29].

 

  1. LA PREUVE DE L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

 

  1. Principes généraux

 

  1. L’exclusion du bien des enfants provient d’une faculté interne de l’homme, c’est-à-dire de la volonté, qui agit après que l’intelligence lui a fourni un moyen de délibérer grâce à des jugements construits par la raison. Et donc la preuve de la simulation se fait en cherchant les éléments qui manifestent à l’extérieur l’acte positif de volonté.

 

Dans le jugement des causes de simulation il faut bien voir deux présomptions du droit : la première est en faveur du mariage en général, selon le c. 1060. L’autre est spéciale à la simulation, puisqu’elle a été établie spécifiquement par le législateur en ces termes : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1).

 

La jurisprudence tient que le juge doit rechercher la preuve de l’acte interne de volonté par une voie directe et une voie indirecte.

 

 

  1. La preuve directe

 

La preuve commence par la confession faite devant le juge par le simulant présumé, mais elle doit être confirmée par des témoins dignes de foi qui ont eu connaissance de l’intention du simulant avant le mariage, ou au moins à une époque non suspecte.

 

  1. La preuve indirecte

 

Le cœur de la preuve indirecte se trouve dans la cause de la simulation, tant éloignée, ayant sa source dans l’esprit ou le caractère du simulant, que prochaine, qui provient surtout de doutes, pendant les fiançailles et après la décision du mariage, sur la future communauté conjugale.

 

En ce qui concerne le poids de la cause de la simulation, qui est à comparer à la gravité de l’alliance conjugale et qui doit prévaloir sur la cause qui a poussé au mariage, une sentence c. Erlebach fait remarquer avec à propos : « Dans ce domaine on trouve une aide importante dans certains principes élaborés dans la praxis jurisprudentielle, qui exigent que dans la preuve de la simulation on n’oublie jamais la comparaison de la cause de la simulation, proche et éloignée, avec la cause qui a poussé au mariage. L’homme en effet – même s’il est très souvent incohérent dans son propre monde intérieur – est cependant par lui-même un être raisonnable, et donc on ne peut pas admettre que quelqu’un, dans une affaire d’une grande importance comme l’est le consentement matrimonial, puisse simuler d’une façon ou d’une autre sans cause adéquate et proportionnée »[30].

 

Quant aux causes d’exclusion du bien des enfants, le Pape Jean-Paul II, avec grande sagesse, nous donne cet avis : « Certains se demandent si vivre est un bien, et s’il ne serait pas préférable de ne pas être nés : ils se demandent donc s’il est permis d’appeler à la vie d’autres hommes qui pourraient en venir à maudire leur existence dans un monde cruel, dont les terreurs ne sont pas même prévisibles […]. D’autres […] emprisonnés dans une mentalité de consommation et ayant l’unique préoccupation d’accroître continuellement les biens matériels, finissent par ne plus comprendre et donc par refuser la richesse spirituelle d’une nouvelle vie humaine »[31].

 

Les déclarations des parties sont corroborées par des indices et des éléments (cf. c. 1679), que peuvent parfois réunir les circonstances prématrimoniales, concomitantes au mariage, postmatrimoniales ; et ces éléments ou ces faits, pourvu qu’ils soient univoques, purs de tout doute prudent et raisonnable, convergeant vers un point unique, c’est-à-dire vers l’acte positif de volonté contre le bien des enfants, valent mieux que les paroles exprimées en confession judiciaire et extrajudiciaire, par le simulant présumé.

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Rappel : La 1° instance a reconnu la simulation du bien des enfants de la part de l’épouse, (mais non pour l’époux).

La 2° instance a admis la cause à l’examen du second degré et a rejeté la simulation de la part de l’épouse et de l’époux.

En 3° instance, il ne s’agit donc que de la simulation de la part de l’épouse.

*

*     *

Le mari partie appelée a refusé de comparaître et a été déclaré absent du jugement.

 

  1. Les déclarations de l’épouse et des témoins

 

L’épouse a toujours été cohérente et constante dans ses confessions judiciaires, où elle a reconnu qu’elle avait exclu d’avoir des enfants de son mariage avec Michele.

 

  1. Première instance

 

Lucia déclare que ni son mari ni elle ne voulaient d’enfant : « Nous nous rendions compte que nous n’avions pas de bases solides sur lesquelles construire notre vie de couple, et ainsi nous nous promettions de ne pas avoir d’enfant car en cas d’échec de notre mariage nous aurions pu faire souffrir des innocents ».

 

Toutefois en cette première instance Lucia semble plutôt penser à un report à plus tard de la venue d’un enfant, quoiqu’elle affirme en même temps que pour Michele et elle-même « l’exclusion des enfants était radicale car nous nous rendions compte que nous n’étions pas bien ensemble ».

 

  1. Deuxième instance

 

Lucia explique qu’elle a voulu exclure à jamais une procréation, et elle déclare que, dans toute sa vie, avant et après son mariage, son frère a été son unique confident, et qu’il sait tout sur son refus absolu d’avoir des enfants.

 

  1. Troisième instance

 

Lucia reconnaît que son exclusion des enfants était conditionnelle. Elle avait, avant son mariage, des difficultés avec Michele et « l’unique possibilité que je pouvais admettre à cette époque était d’avoir la certitude absolue qu’il aurait changé, en devenant la personne que j’avais connue et dont j’étais devenue amoureuse ».

 

  1. Premières réponses du Tour Rotal aux Juges de 2° instance

 

Les juges de 2° instance ne voient pas de confession extrajudiciaire et même, ils affirment que les dépositions des témoins s’opposent aux déclarations de l’épouse. Le Tour Rotal répond à ce sujet.

 

Le frère de Lucia : « Elle m’a dit que comme elle n’était pas sûre du mariage qu’elle allait faire elle éviterait par tous les moyens de mettre au monde des enfants ».

 

Pour le père de Lucia, cette exclusion des enfants était temporaire, mais il ajoute que, pour ne pas avoir d’enfants, elle était allée voir un spécialiste, que sans doute elle ne voulait pas avoir d’enfants en raison de la situation financière de Michele, mais, précise-t-il, « je suis certain qu’entre eux il n’y avait pas d’amour […]. Le véritable motif (pour lequel elle ne voulait pas d’enfant) était le manque d’amour ».

 

D’une façon ou d’une autre les différents témoins disent la même chose que le frère et le père de Lucia ; ainsi sa mère, son cousin, la femme de ce cousin.

 

III. La cause de la simulation : réponse du Tour Rotal aux Juges de 2° instance

 

Les Juges de 2° instance estiment que la cause de la simulation est faible, qu’il n’y a pas eu de cause éloignée d’exclusion des enfants en raison de l’éducation religieuse reçue par Lucia, et qu’il n’y a pas eu non plus de cause prochaine de simulation, « à la lumière des déclarations de la demanderesse et de ses témoins, ainsi qu’à celle des circonstances antécédentes, concomitantes et postmatrimoniales ».

 

Le Tour Rotal répond.

 

Dès le début les actes montrent que de graves difficultés financières avaient mis à jour le caractère de Michele au point que Lucia avait eu la volonté de ne pas avoir d’enfant.

 

Lucia, en 3° instance, a déclaré que la ruine économique de Michele avait changé leurs relations, que par suite de cette faillite il était devenu irascible, passif, dépressif et qu’en conséquence les sentiments qu’elle avait pour son fiancé s’étaient très refroidis. « Je ne me sentais pas sûre […]. A ce moment-là je ne voulais absolument pas d’enfant de Michele ». Elle explique aussi ses deux causes d’exclusion des enfants, l’une pour son entourage, l’autre pour elle-même : « En public je disais que je ne voulais pas d’enfant en raison de la situation économique […] mais en moi-même la cause de mon refus d’avoir des enfants était que je n’avais plus confiance en Michele en raison du changement de sa personnalité. Je n’en ai parlé qu’à mon frère Antonio. »

 

Les témoins, de leur côté, confirment les difficultés économiques de Michele, ils parlent aussi du manque d’amour de Lucia pour son fiancé et enfin du changement de caractère de ce dernier, qui a suscité des doutes chez Lucia.

 

Pour le père de Lucia, qui précise son premier témoignage, « le véritable motif (de la situation) n’était pas l’argent, mais le manque d’amour », ce que redisent la mère de l’épouse demanderesse et le frère de Lucia.

 

  1. La cause de la simulation a été prévalente sur celle du mariage

 

Pour le Tour Rotal, Lucia avait accepté le mariage et tout était prêt. Comme elle le déclare, elle a eu peur du scandale, des commérages, de l’opinion des gens sur sa famille : « C’est pourquoi je considérais comme impossible de ne pas me marier ».

 

Antonio, le frère de Lucia, redit la même chose, comme le curé de la paroisse : « Une semblable décision (renoncer au mariage), dans la mentalité de notre région, aurait causé des commérages de toutes sortes ».

 

La cause qui a poussé Lucia au mariage est bien faible par rapport à la cause qui l’a conduite à exclure le bien des enfants.

 

  1. Les circonstances postmatrimoniales

 

Lucia a toujours utilisé des moyens anticonceptionnels : avant le mariage, elle a consulté un gynécologue pour se faire prescrire la pilule anticonceptionnelle ; après le mariage elle a eu peu de relations intimes avec Michele et celles-ci étaient « fermées à la vie d’un commun accord », ce que confirment de très nombreux témoins à qui Lucia a fait des confidences.

 

De plus la vie commune a toujours été difficile et elle a connu quatre ruptures (cf. témoins).

 

Bref, on peut dire en conclusion que l’épouse demanderesse a conservé fermement sa volonté d’exclure les enfants, puisque jamais le mari n’a changé en mieux dans sa façon de se comporter.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion du bien des enfants

de la part de l’épouse demanderesse

 

Vetitum pour l’épouse

 

 

Giordano CABERLETTI, ponent

Angelo Bruno BOTTONE

Gregor ERLEBACH

 

__________

 

[1] GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] SAINT THOMAS, S. Theol. Suppl., q. 49, a. 3, in corp.

[3] PIE XI, Encyclique Casti Connubii, 31 décembre 1930, AAS, vol. XXII, 1930, p. 543

[4] Cf. U. NAVARRETE, Structura juridica matrimonii secundum Concilium Vaticanum II, Rome 1968, p. 36, n. 26

[5] GAUDIUM et SPES, n. 48 et 50

[6] PIE XII, Discours au Congrès sur la fécondité et la stérilité humaine, AAS, vol. XLVIII, 1956, p. 469

[7] C. de LANVERSIN, 30 janvier 1985, n. 4, sent. 16/1995

[8] GAUDIUM et SPES, n. 49

[9] C. STANKIEWICZ, 24 janvier 1986, n. 6, sent. 14/1986

[10] C. STANKIEWICZ, 29 juin 1980, SRRDec, vol. LXXII, p. 561, n. 3

[11] LÉON XIII, Encyclique RERUM NOVARUM, 15 mai 1891, AAS, vol. 23, 1890-1891, p. 645

[12] PIE XI, Encyclique CASTI CONNUBII citée, p. 542

[13] SAINT THOMAS, Supplément, q. 49, a. 3, in corp.

[14] Même endroit

[15] Même endroit

[16] Même endroit

[17] Cf. P. ROSSI, De historica evolutione doctrinae distinctionis inter jus et usum juris in contractu matrimoniali, Rome 1959 ; F. CATOZZELLA, Distinzione tra jus ed exercitium juris. Evoluzione storica ed applicazione all’esclusione del Bonum prolis, Rome 2007

[18] Cf. c. CIVILI, 18 décembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 696-699, n. 7-14 ; c. BRUNO, 19 décembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 732-733 ; c. HUBER, 20 décembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 748-750, n. 8 ; H. FRANCESCHI, L’esclusione della prole nella giurisprudenza rotale recente, dans Jus Ecclesiae, 11, 1999, p. 160-165 ; H. FRANCESCHI, La giurisprudenza di merito sull’esclusione della prole nel recente volume delle Decisioni Rotale dell’anno 1995, dans Quaderni dello Studio Rotale, 11, 2001, p. 111

[19] BENOIT XIV, De Synodo diocesana, l. XIII, c. 22, 11, Venise 1775, p. 245

[20] PIE XII, Discours aux Sages-Femmes, 29 octobre 1951, AAS, vol. XXXIII, 1951, p. 845

[21] PIE XII, Discours au Congrès sur la fécondité et la stérilité humaine, cité, p. 470

[22] C. STAFFA, 18 juillet 1958, SRRDec, vol. L, p. 472-473, n. 2

[23] C. BOTTONE, 5 décembre 2003, sent. 121/2003

[24] C. ERLEBACH, 29 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 685, n. 16

[25] P.J. VILLADRICH, El consentimiento matrimonial, Pampelune 1998, p. 202

[26] Cf. Z. GROCHOLEWSKI, De exclusione indissolubilitatis ex consensu matrimonii ejusque probatione, Naples 1973, n. 56

[27] C. BOTTONE, 15 juin 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 386, n. 6

[28] C. ERLEBACH, 15 juillet 1999, SRRDec, sentence 101/1999, n. 7

[29] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1973, 3° édition, p. 95 et 99

[30] C. ERLEBACH, 16 décembre 1999, sent. 153/1999, n. 6

[31] JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio, 22 novembre 1981, AAS, vol. LXXIV, 1982, p. 115-116, n. 30

Bottone 02/02/2010

Coram  BOTTONE

 Exclusion des trois propriétés essentielles du mariage

 Tribunal Régional des Pouilles (Italie) – 2 février 2010

P.N. 20.449

Constat pour les 3 chefs

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE MARIAGE,  LE  CONSENTEMENT,  LA  SIMULATION  EN  GÉNÉRAL
  2. Le mariage
  3. Le consentement
  4. La simulation en général

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DE  LA  FIDÉLITÉ

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Après 10 ans de fréquentations prénuptiales, pacifiques et amoureuses jusqu’à 18 mois avant le mariage, bien que les jeunes gens soient séparés par leur travail et qu’ils ne puissent se rencontrer qu’en fin de semaine, Giovanni C. et Anna L. se marient religieusement le 30 avril 2005.

 

Les derniers mois avant le mariage, leur relation s’était dégradée parce qu’Anna ne se comportait plus avec Giovanni comme auparavant et qu’elle montrait qu’elle ne l’aimait plus aussi profondément. Cependant tout était prêt pour le mariage depuis longtemps, selon la coutume des habitants des Pouilles, et Giovanni, dans la crainte d’un déshonneur de sa famille, avait accepté, mais à contre-cœur, de se marier. Il doutait en effet beaucoup de la volonté d’Anna de l’épouser et il n’était pas certain de la réussite de leur union.

 

Comme l’avait prévu le mari, la communauté conjugale est très malheureuse et ne dure que 4 mois, Anna quittant son mari en octobre 2005, pour rejoindre un cousin de Giovanni, Francesco N., avec qui elle avait des relations dès avant le mariage.

 

Le 28 novembre 2005, Giovanni, pour éclaircir sa situation et retrouver son entière liberté, demande au Tribunal Ecclésiastique Régional des Pouilles de déclarer la nullité de son mariage, pour exclusion, de la part de sa femme, des trois propriétés essentielles du mariage, à savoir l’indissolubilité, les enfants et la fidélité. La sentence du 26 mars 2008 est négative.

 

Le demandeur fait appel à Notre Tribunal Apostolique. Dans le courant de l’instruction il apparaît que le mari avait exclu le bien des enfants. Sur la requête de son avocat, le chef d’exclusion du bonum prolis est ajouté, comme en première instance, au doute concordé sur les trois chefs allégués en première instance.

 

 

EN  DROIT

 

  1. LE MARIAGE,  LE  CONSENTEMENT,  LA  SIMULATION  EN  GÉNÉRAL

 

  1. Le mariage

 

  1. Le mariage, élevé par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement (c. 1055 § 2), bien qu’il soit un contrat ou une alliance, diffère profondément des autres contrats humains.

 

En premier lieu il est un « lien sacré », même lorsqu’il reste seulement naturel et qu’il est conclu par des non-baptisés.

 

Il a pour auteur Dieu lui-même[1] dont il a reçu ses fins et ses propriétés essentielles et c’est pourquoi il ne dépend pas de la volonté humaine, comme l’enseigne la Constitution Gaudium et Spes : « En vue du bien des époux, des enfants et aussi de la société, ce lien sacré échappe à la fantaisie de l’homme »[2].

 

A la différence des autres contrats, il faut que le consentement provienne de l’une et l’autre des parties, c’est-à-dire de chacun des contractants, et donc il est exclu toute idée de pacte unilatéral.

 

L’objet du contrat matrimonial n’est pas au pouvoir des contractants, qui ne peuvent pas déterminer ou modifier ce qui appartient à la substance du contrat, à la différence des autres contrats humains.

 

Les droits du mariage ne peuvent en aucune façon être modifiés, restreints ou transférés par l’autorité religieuse publique, encore moins l’autorité civile, parce qu’ils sont établis par la loi divine et donc restent dans leur intégrité pour les contractants.

 

Le contrat matrimonial est, par sa nature même, indissoluble, perpétuel jusqu’à la mort, tandis que les autres contrats peuvent établir des obligations pour un temps seulement. La Constitution Gaudium et Spes affirme : « La communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur ; elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel irrévocable »[3]. Le Code de Droit canonique est en plein accord avec la Constitution (c. 1057 § 2).

 

Le contrat matrimonial est ordonné à la génération et à l’éducation des enfants et postule la fidélité.

 

Ceux qui ont contracté le mariage n’ont pas le pouvoir de rescinder le contrat, même si le mariage a été seulement conclu (tantum ratum).

 

Le Pape Pie XI enseigne donc excellemment dans l’Encyclique Casti Connubii : « La nature absolument propre et singulière de ce contrat le rend complètement différent tant des unions des animaux qui ne se font que par le seul instinct aveugle de la nature et dans lesquelles il n’y a ni raison, ni volonté délibérée, que de ces unions humaines inconstantes qui sont éloignées de tout lien véritable et honnête des volontés et qui sont privées de tout droit de communauté domestique ».

 

  1. Le consentement

 

  1. Le contrat constitutif du mariage est uniquement le consentement de chacun des contractants, sans lequel il ne peut se produire : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » (c. 1057 § 1).

 

Le consentement est donc nécessaire au cœur de chacune des parties, de telle sorte qu’il n’y a pas de mariage s’il n’y a pas le consentement de chacune des parties.

 

Il est à noter que le canon prescrit que le consentement soit exprimé entre personnes « juridiquement capables ». Sont juridiquement capables les personnes qui ne sont tenues par aucun empêchement de droit naturel ou divin. Il y a également des empêchements établis par le droit positif, dont cependant l’autorité ecclésiastique peut dispenser, de même qu’elle les a créés, mais l’incapacité qui provient du droit naturel ou divin ne peut être supprimée.

 

Puisque le mariage a été créé par Dieu et doté par Lui de fins et de propriétés essentielles, le consentement des contractants doit s’étendre à toutes et chacune des fins essentielles du mariage ainsi qu’à toutes et chacune de ses propriétés essentielles.

 

  1. La simulation en général

 

  1. Celui qui prononce les paroles qui expriment le consentement ou qui utilise les signes qui le désignent mais qui a la volonté de ne pas contracter ou de ne pas s’obliger, accomplit une simulation.

 

Il y a simulation dans la célébration du mariage lorsque le contractant exprime extérieurement et ouvertement les paroles du consentement ou les signes qui le manifestent, mais qu’intérieurement il les refuse.

 

Contre la simulation le c. 1101 § 1 prescrit : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage ». La raison en est que « personne ne doit être considéré comme avoir dit ce à quoi il n’a pas pensé ». En conséquence, lorsqu’il est certain que la célébration s’est déroulée correctement, on doit tenir que les contractants ont réalisé un mariage véritable et valide, jusqu’à preuve du contraire par des arguments solides.

 

La simulation peut être totale, lorsque quelqu’un ne veut pas le mariage lui-même et donc rend nul son mariage parce que le consentement manque tout à fait.

 

La simulation peut également être partielle lorsque celui qui se marie à l’intention de contracter, mais non de s’obliger, ou bien lorsqu’il exclut de son consentement une fin ou une propriété essentielle.

 

Dans les deux cas le résultat est le même : la nullité du mariage.

 

La preuve de la simulation n’est certes pas facile, mais elle est possible si certains éléments s’accordent entre eux : la confession du simulant, surtout si elle est faite à une époque non suspecte et confirmée par des témoins dignes de foi, une cause proportionnée, grave au moins pour le simulant ; des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes au mariage, qui permettent d’apercevoir la mentalité réelle du simulant.

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. Le bien du sacrement est l’indissolubilité. Le consentement révocable et donné seulement pour un temps n’est pas apte à la célébration d’un mariage véritable et valide, parce qu’il dénie le droit de la perpétuité.

 

De par sa nature même, l’indissolubilité n’admet pas une distinction entre le droit et l’exercice du droit, et donc la volonté du contractant ne peut se diriger que contre l’indissolubilité.

 

L’indissolubilité, enfin, est si fortement connexe au mariage que sans elle celui-ci ne peut même pas se concevoir parce que, comme l’enseigne l’Exhortation « Familiaris Consortio » (n. 120) elle s’enracine profondément dans la donation personnelle et entière des époux.

 

Celui qui ose exclure l’indissolubilité de la célébration de son mariage, en conséquence, prive celui-ci d’une propriété essentielle et donc il ne peut résulter un mariage valide.

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

  1. Le Code de Droit Canonique statue au c. 1055 : « L’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants, a été élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement ».

 

Celui donc qui, par un acte positif de volonté, exclut du mariage la génération d’enfants, ne peut contracter un mariage valide parce qu’il le prive de son élément essentiel.

 

Parce qu’il s’agit dans la célébration du mariage de la transmission de droits, il faut, pour qu’il y ait exclusion du bien des enfants, que soit exclu ce que les termes « se donnent et se reçoivent mutuellement » du c. 1057 § 2 recouvrent et qui ne peut être autre que les actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants. Il n’y a pas, en effet, de droit à l’enfant, mais de droit aux actes, accomplis de manière naturelle, à partir desquels il peut s’ensuivre la génération. A ce sujet, l’Instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, du 22 février 1987[4], déclare : « Le mariage, cependant, ne confère pas aux époux le droit d’avoir un enfant mais uniquement le droit d’accomplir les actes naturels qui sont ordonnés par eux-mêmes à la procréation ».

 

Cela dit, il peut y avoir un mariage valide même sans que naisse un enfant, puisque ce n’est que la détermination positive de ne pas donner au conjoint le droit aux actes conjugaux qui rend nul le mariage.

 

L’ordonnancement à la génération implique l’obligation de rendre le devoir et de ne pas empêcher la génération.

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DE  LA  FIDÉLITÉ

 

  1. Le bien de la fidélité est le droit conjugal exclusif que les contractants doivent se donner mutuellement.

 

Le bien de la fidélité est exclu si le contractant, en célébrant son mariage, exclut la fidélité de son consentement par un acte positif de volonté, ou s’il a la volonté de ne pas s’obliger à garder cette fidélité.

 

Si le contractant, avant le mariage, a l’intention de ne pas remplir l’obligation qu’il a reçue, il ne lèse pas le bien de la fidélité, mais seulement la justice vis-à-vis de son conjoint.

 

La preuve de l’exclusion du bien de la fidélité est difficile et la jurisprudence est prudente en ce domaine.

 

L’exclusion du bien de la fidélité est présumée s’il est prouvé qu’il y a eu un pacte ou une condition sine qua non contre la fidélité.

 

La preuve de l’exclusion du bien de la fidélité doit être considérée comme suffisante si l’une ou l’autre des parties a eu la volonté ferme et prévalente d’entretenir un commerce sexuel avec une autre personne après la célébration du mariage, ceci confirmé par divers éléments.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

 

  1. L’EXCLUSION DES PROPRIÉTÉS  ESSENTIELLES  DU  MARIAGE  PAR  L’ÉPOUSE

 

Anna, l’épouse partie appelée, a refusé de déposer devant notre Tribunal de la Rote et l’a renvoyé à ses déclarations faites au tribunal de première instance. Il Nous faut donc nous en tenir à celles-ci et aux faits qui ont entouré le mariage.

 

Avant tout Anna semble avoir menti car sur bien des points les témoins la contredisent. On peut être sûr au moins que pendant la majeure partie des fréquentations prénuptiales elle a aimé Giovanni, mais que son attitude a changé environ un an et demi avant le mariage.

 

Plusieurs témoins affirment que les relations amoureuses d’Anna et de Francesco, le cousin de son mari Giovanni, ont existé avant le mariage. Ainsi parlent le frère d’Anna, la mère de Giovanni, etc. Tous font état de la tristesse et de la nervosité de l’épouse partie appelée avant son mariage et de son peu d’empressement pour les préparatifs de la cérémonie.

 

Le témoin le plus important est le Père C., cousin de Giovanni, qui a préparé les parties au mariage et a célébré le mariage. Il avait remarqué alors la tristesse d’Anna et se souvient que pendant la cérémonie du mariage elle ne voulait pas répéter la formule du rite. Bien plus, dans une lettre adressée au président du Tribunal régional des Pouilles, le Père C. lui a fait part de ses doutes à l’approche du mariage et de ses réticences à célébrer celui-ci : « il ne me restait qu’à célébrer avec regret ce mariage ». Le témoin a confirmé tout cela dans sa déposition devant le Ponent soussigné.

 

Des dépositions des témoins et des circonstances il apparaît clairement que l’épouse partie appelée a voulu un mariage privé de ses éléments et propriétés essentielles.

Ceci est confirmé par le fait que pendant qu’elle célébrait son mariage, Francesco préparait sa fuite et que quatre mois après les noces Anna quittait son mari pour son amant.

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DES  ENFANTS  PAR  LE  DEMANDEUR

 

Devant notre Tribunal Apostolique, Giovanni a déclaré qu’en raison du changement d’attitude d’Anna, il avait décidé qu’il n’aurait pas d’enfant d’elle, au moins pour un temps, « pour pouvoir bien nous accorder ». Il a même dit à sa fiancée que « si elle ne redevenait pas celle qu’elle était auparavant, il n’aurait pas d’enfant avec elle parce qu’elle ne serait pas capable de s’en occuper ».

 

Les déclarations renouvelées de Giovanni montrent bien le motif de son exclusion des enfants et sa ferme volonté de se réserver le droit de décider d’avoir une progéniture.

 

La mère de Giovanni affirme que son fils l’avait informée « qu’avant de mettre au monde des enfants il voulait connaître le caractère d’Anna ». Or on remarquera que les fréquentations des futurs époux ont duré dix ans et que Giovanni pouvait donc bien connaître le caractère d’Anna.

 

Une tante de Giovanni a entendu celui-ci lui dire : « Je ne veux pas d’enfant, je veux d’abord voir… », ce qu’ont entendu également deux collègues de travail du demandeur. Cela signifie bien une volonté ferme d’exclure les enfants pour une période indéterminée et une volonté ferme de se réserver le droit exclusif de décider si et quand il aurait des enfants.

 

Constat de nullité

pour tous les chefs allégués

 

Vetitum pour l’épouse

 

 

Angelo BOTTONE, ponent

Gregor ERLEBACH

Jair FERREIRA PENA

 

__________

 

 

 

[1] GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] GAUDIUM et SPES, n. 48

[3] N. 48

[4] AAS, p. 97

BOCCAFOLA 20/05/2010

Coram  BOCCAFOLA

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal régional de Flaminie (Italie) – 20 mai 2010

P.N. 19.100

Constat pour les 2 chefs

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. NATURE DU  CONSENTEMENT
  1. LES INCAPACITÉS  DE  CONSENTIR
  2. La discretio judicii (c. 1095, 2°)
  3. Nature de la discretio judicii
  4. Les conditions de la présence de la discretio judicii
  5. Les obstacles à l’examen de la discretio judicii
  6. L’incapacité d’assumer (c. 1095, 3°)

 

III.  RECHERCHE  ET  PREUVES  DES  INCAPACITÉS  DU  CANON  1095, 2°  et  3°

  1. La recherche pour l’incapacité du c. 1095, 2°
  2. La recherche pour l’incapacité du c. 1095, 3°
  3. La preuve par les dépositions des parties et des témoins
  4. La preuve par les experts

 

__________

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Attilio M., demandeur, né le 6 mai 1959, épouse le 29 avril 1995 Cristina P., née le 9 avril 1963. Les jeunes gens s’étaient connus en juin 1993 et peu après s’étaient considérés comme fiancés.

 

Cristina, quelques années avant de rencontrer Attilio, avait eu des problèmes d’ordre psychique, comme de la dépression, de l’agoraphobie, et elle était soignée par un psychiatre. De son côté, Attilio, durant son adolescence, avait été victime d’une brève période de dépression. Malgré cela, les jeunes gens se marient avec l’espoir d’un mariage heureux basé sur un amour mutuel.

 

La vie commune, sans enfant, dure quatre ans mais elle est malheureuse en raison des litiges provoqués par la conduite de l’épouse. Comme le rapporte le mari demandeur, « dès le voyage de noces, le troisième jour, Cristina m’a dit que tout était fini entre nous […]. Elle était nerveuse, agressive […]. Pendant toute la vie conjugale elle a eu des explosions de colère et d’agressivité ». La séparation a lieu le 7 juillet 1999.

 

Le 16 décembre de cette année 1999, Attilio présente un libelle au Tribunal ecclésiastique régional de Flaminie, accusant son mariage de nullité pour incapacité de l’épouse partie appelée de consentir au mariage selon le c. 1095, 2° et 3°. Lors de l’instruction une expertise sur les actes est réalisée. Le 20 décembre 2003, le Tribunal déclare la nullité du mariage pour incapacité de l’épouse selon la norme du c. 1095, 2° et 3°.

 

L’avocat de l’épouse fait appel à la Rote. Le Tour admet, le 18 février 2004, la cause à l’examen ordinaire du second degré. Le ponent actuel succède au premier ponent, devenu émérite. Le 23 février 2006 le doute est formulé sous les deux chefs, distingués, à savoir le grave défaut de discretio judicii (c. 1095, 2°) de la part de l’épouse et l’incapacité d’assumer (c. 1095, 3°) de la même épouse. Une nouvelle expertise est réalisée par le Professeur Tonali.

 

EN  DROIT

 

  1. NATURE DU  CONSENTEMENT

 

  1. Le consentement matrimonial, selon le c. 1057, est un acte de volonté, un acte vraiment humain, c’est-à-dire accompli par l’intelligence et la volonté, par lequel l’homme et la femme, par une alliance irrévocable, se donnent et se reçoivent mutuellement pour constituer entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée, par son caractère naturel, au bien des conjoints et à la génération et l’éducation d’enfants (cf. c. 1055).

 

Un tel consentement manifesté légitimement entre personnes juridiquement capables, qui ne peut être suppléé par aucune puissance humaine (cf. c. 1057), est la cause suffisante et nécessaire du mariage. Si le consentement fait défaut, le mariage doit être considéré comme nul.

 

  1. LES INCAPACITÉS DE  CONSENTIR

 

  1. Toutefois, le c. 1095, 2°, dispose que : « Sont incapables de contracter mariage les personnes […] qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ».

 

  1. La discretio judicii (c. 1095, 2°)

 

  1. Nature de la discretio judicii

 

Et donc la discretio judicii est à définir comme la capacité humaine, qui provient de la conspiration, association et coopération harmonique entre l’intelligence et la volonté, par lesquelles le contractant peut prudemment estimer et donner, après une délibération de la raison, les devoirs et les droits essentiels du mariage. C’est pourquoi cette délibération n’est pas la simple connaissance intellective abstraite, ou théorique, des propriétés, fins essentielles et objet du mariage, mais elle est une décision réfléchie de la volonté, qui présuppose nécessairement tant une évaluation et une pondération pratique et existentielle convenable des motifs qu’un jugement pratico-pratique de l’intelligence et de la volonté en ce qui concerne le mariage qui est contracté hic et nunc.

 

  1. Les conditions de la présence de la discretio judicii

 

En conséquence, selon le c. 1095, 2°, pour qu’il y ait une décision délibérée mature, humaine et vraiment matrimoniale, il est nécessaire que soient trouvées dans le sujet tant la capacité de comprendre que la capacité d’estimer et de donner l’objet du contrat conjugal. Pour que le sujet agent puisse être dit maître de l’acte qu’il a posé, c’est-à-dire avoir la nécessaire discretio judicii, proportionnée à la gravité du mariage, il est nécessairement requis :

  1. Une connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement, qui indique l’appréhension abstraite de l’objet sous l’aspect du vrai ;
  2. Une estimation suffisante proportionnée à l’affaire du mariage, c’est-à-dire une connaissance critique ou estimative apte à la si grande charge qu’est le mariage ;
  3. Une liberté interne, c’est-à-dire la capacité de se déterminer ou de délibérer avec une estimation suffisante des motifs et une autonomie de la volonté par rapport à une impulsion interne contraignante, qui comporte dès lors la possibilité de donner et d’accepter l’objet visé ainsi que de prendre librement une décision délibérée.

 

En conséquence, si l’un des éléments ci-dessus énumérés vient à manquer chez le sujet, c’est la ruine de toute la structure de l’acte humain et donc de toute l’affaire juridique qu’il a réalisée, et cela non pas pour un vice de l’acte humain, mais par l’absence de cet acte humain ou, en d’autres termes, du consentement matrimonial lui-même.

 

  1. Les obstacles à l’exercice de la discretio judicii

 

L’exercice de la faculté critique peut être empêché par de multiples causes, non seulement par des maladies définies, mais également par des états anormaux, même passagers, qui enlèvent parfois la maîtrise des actes humains.

 

  1. Dans ce domaine l’impact d’obstacles de genre inconscient ainsi que de perturbations légères peut diminuer la liberté effective du contractant, mais il devient un véritable obstacle à la liberté du sujet dans la mesure où un tel impact porte sur les capacités intellectives et volitives elles-mêmes. Et donc les obstacles et les perturbations qui diminuent seulement la liberté effective, mais ne lèsent pas substantiellement les facultés intellectives et volitives (la liberté essentielle) ne peuvent pas rendre invalide le mariage. A ce sujet il faut toujours distinguer, comme l’a clairement déclaré le pape Jean-Paul II dans son Discours à la Rote de 1987, entre la simple difficulté et la véritable incapacité. En effet seule une grave espèce d’anomalie qui perturbe substantiellement les capacités de comprendre et/ou de vouloir du contractant est l’unique condition suffisante pour déclarer la nullité du mariage. Les divers obstacles de genre inconscient et les anomalies légères qui ne détruisent pas la liberté humaine essentielle, même si elles comportent la responsabilité morale des conjoints, constituent une simple difficulté et ne détruisent pas la capacité de comprendre et de vouloir du contractant.

 

  1. L’incapacité d’assumer (c. 1095, 3°)

 

  1. Dans le c. 1095, 3°, il s’agit de l’incapacité du contractant d’instaurer et de soutenir une véritable communauté de vie, c’est-à-dire de l’incapacité d’assumer et de remplir les obligations essentielles du mariage, procédant de causes de nature psychique définies. Ainsi le 3° du canon, plus que vers l’état acquis de science du contractant ou vers la puissance de son intelligence, dirige son attention vers l’efficacité de sa volonté, c’est-à-dire sur sa capacité à mener à leur effet les obligations essentielles du mariage.

 

Nous lisons en effet dans une sentence de Stankiewicz du 28 mai 1991[1] : « Cette incapacité relative aux obligations essentielles du mariage se fonde sur un grave défaut de la faculté psychique de la part du contractant, en raison duquel il ne peut pas disposer de l’objet formel essentiel du consentement, parce qu’un tel défaut rend absolument impossible l’actuation de l’objet essentiel du consentement. Dans ce cas en effet, les obligations essentielles du mariage, inscrites dans l’objet formel essentiel du consentement, excèdent les forces psychique du contractant dans l’ordre de l’exécution, de telle sorte qu’il ne peut pas s’obliger, par un acte de volonté, à les remplir. Personne assurément ne peut s’obliger à remplir une obligation impossible, parce que l’obligation relative à une prestation impossible ne se crée pas, en vertu de la nature de la chose, selon ce principe général du droit : ‘A l’impossible nul n’est tenu’ […]. Parce que la volonté qui prend une décision ne la prend pas au sujet d’une chose impossible, le consentement matrimonial relatif à un objet formel impossible est vain et inefficace, et donc ne réalise pas un mariage valide. »

 

III.  RECHERCHE  ET  PREUVES  DES  INCAPACITÉS  DU  CANON  1095, 2°  et  3°

 

  1. La recherche pour l’incapacité du c. 1095, 2°

 

  1. Donc, pour déclarer la nullité du mariage pour l’incapacité du c. 1095, 2°, il est nécessaire d’examiner si, au moment de la célébration du mariage, il y avait eu une anomalie psychique et si celle-ci avait eu un effet sur la faculté critique et élective pour choisir librement un état de vie, de telle sorte que la partie, en émettant le consentement matrimonial, n’aurait pas pu faire un acte véritablement humain.

 

  1. La recherche pour l’incapacité du c. 1095, 3°

 

Au contraire, relativement à l’incapacité du c. 1095, 3°, il faut rechercher si l’inhabilité à remplir les obligations causée par une anomalie avait été tellement grave qu’elle avait rendu, pour le contractant ou pour son partenaire, véritablement intolérable la communauté de vie, sans que le contractant infirme eût pu l’empêcher, parce que le mal-vivre ne dépend pas de sa volonté, mais plutôt de sa débilité et son infirmité. Il faut dès lors que les juges procèdent avec prudence dans ce domaine, en distinguant bien dans chaque cas l’espèce véritable et précise d’incapacité, sinon l’argument pour la nullité ne convaincrait pas si le vice du consentement était attribué seulement à une « immaturité » vague, faible et purement générique.

 

  1. La preuve par les dépositions des parties et des témoins

 

  1. Il ne faut pas oublier non plus qu’on doit attribuer une grande importance, tout d’abord, aux déclarations des parties, comme l’a prescrit clairement le Code de Droit canonique aux c. 1536, 2 et 1679, qui sont le début essentiel de la preuve, surtout si les parties jouissent de crédibilité. On lit à ce sujet dans une sentence de Huber : « Toute l’investigation doit se porter sur le sujet qui est dit avoir souffert, en se mariant, d’un grave défaut de discretio judicii. Il faut entendre l’époux qui s’attribue un défaut de discretio judicii. Il présentera son évolution depuis sa tendre enfance et pendant tout le cours de sa vie, et ainsi il dévoilera son état d’esprit au moment de la puberté. Il faut entendre l’autre partie, qui a cohabité avec son conjoint pendant plusieurs années et qui peut donc rendre compte de la condition psychique de celui-ci d’après son expérience quotidienne »[2].

 

Des témoins dignes de foi doivent également parler de l’incapacité de discretio et d’accomplissement des obligations conjugales au moment du mariage, en rapportant des faits certains, antécédents et concomitants au mariage. On suivra, pour évaluer les dépositions des témoins, les règles fixées dans les c. 1572 et 1573.

 

  1. La preuve par les experts

 

  1. Enfin, on attribuera une grande importance à l’article 209 de la récente Instruction Dignitas Connubii :

            « § 1. Dans les causes d’incapacité, dans l’esprit du c. 1985, le juge ne doit pas omettre de demander à l’expert si l’une ou les deux parties souffraient d’une anomalie particulière habituelle ou transitoire au moment des noces ; quelle était sa gravité ; quand, pour quel motif et dans quelles circonstances elle prit son origine et se manifesta.

  • 2. En particulier :

[…] 2° dans les causes pour défaut de discernement, il doit rechercher quel a été l’effet de l’anomalie sur la faculté critique et élective de prendre des décisions importantes, particulièrement pour choisir librement un état de vie ;

3° enfin dans les causes pour incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage, il doit rechercher quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage ».

 

Il est donc nécessaire de recourir aux experts pour découvrir la nullité du mariage en vertu du c. 1095 : il revient en effet aux experts, députés par les Juges, de découvrir, selon les préceptes de la science psychiatrique, la véritable et spécifique nature du mariage, le degré et la gravité de la perturbation, son début, son parcours, ses rémissions, et surtout la gravité de son influence sur la faculté critique et élective du contractant au moment de la célébration du mariage et sur l’accomplissement des obligations matrimoniales.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. La présence d’une véritable anomalie psychique chez l’épouse partie appelée, au moment de l’émission de son consentement matrimonial, nous semble bien prouvée à partir des actes de la cause. Le demandeur déclare que pendant les fiançailles Cristina et lui n’étaient pas toujours d’accord, parce que la jeune fille avait des crises de dépression et des sautes d’humeur ; il ajoute qu’elle avait un caractère fragile, et qu’elle avait peur devant l’arrivée du mariage. Cristina confirme ces déclarations, comme d’ailleurs presque tous les témoins.

 

  1. La gravité du phénomène ressort de la longue période où Cristina a été soignée, plus de cinq ans. Elle a séjourné en hôpital psychiatrique à deux reprises, la première de deux semaines et la seconde de deux mois. Les symptômes de la maladie ont été : crises de dépression et agoraphobie, explosion de rage et d’agressivité, comme l’indique le médecin traitant.

 

  1. L’expert nommé ex officio par le Tribunal de 1° instance, le docteur M., présente une analyse complète de l’origine et du développement de cet état psychique : celui-ci provient du contexte familial, avec un père absent et froid, qui n’a prêté attention qu’à son fils. Cristina en a conçu une carence de son auto-évaluation, elle a douté de sa propre identité, a développé un goût de la solitude. Pour l’expert, Cristina a trouvé en Attilio un substitut du père absent et son affection. En plus la vie conjugale a été sérieusement troublée par l’incursion de la belle-mère de Cristina, qu’Attilio n’a jamais contrecarrée et qui a contribué à ce que sa femme se sente marginalisée.

 

L’expert explique aussi comment l’état psychique de Cristina a empêché chez elle la discretio judicii nécessaire et la capacité d’émettre un consentement vraiment conjugal.

 

  1. Les juges de la première instance ont accepté la démonstration et les explications du rapport de l’expert et ils ont conclu qu’était prouvé chez l’épouse le manque de discretio judicii du c. 1095, 2°. Toutefois leur sentence semble insuffisante car les juges n’ont pas bien donné les raisons qui les ont amenés à reconnaître aussi la nullité du mariage selon le c. 1095, 3°. C’est pourquoi Notre Tour a admis la cause à l’examen ordinaire du second degré, d’autant qu’il s’est demandé si, dans le cas de Cristina et d’Attilio, il ne s’agissait pas d’une « simple incapacité relative ».

 

  1. Une expertise a donc été demandée au Professeur Tonali. Selon lui, une perturbation psychique structurelle de l’épouse, qui en était atteinte sans aucun doute bien longtemps avant son mariage, existait même quand les soins médicaux en faisaient disparaître les indices. En fait les témoins, les médecins traitants, les documents cliniques et l’expertise du Professeur Tonali s’accordent sur le fait que l’épouse souffrait au moins d’une perturbation dépressive et phobique-obssessive, que les experts estiment « grave ».

 

Le Professeur Tonali précise que cet état était présent chez Cristina au moment de l’échange des consentements. Il parle de Trouble de Personnalité non autrement spécifié (selon le DSM-IV-TR), p. 776), trouble endogène, qui empêchait Cristina d’établir une relation interpersonnelle suffisamment intégrée, stable et mature.

 

Les difficultés relatives à une éventuelle « simple incapacité relative » sont levées par l’expertise du Professeur Tonali. En fait, les interventions fâcheuses de la belle-mère dans le ménage et l’incapacité du mari à y mettre fin et à se soustraire à l’autorité de sa mère montrent seulement la fragilité de l’état psychique de l’épouse qui, en raison de perturbations structurelles de celui-ci, a de plus en plus gravement laissé paraître les indices de ses problèmes psychiques.

 

  1. En conclusion, l’argument fondé sur le c. 1095, 3° est valable en ce sens que l’épouse, en raison de son anomalie psychique, a été incapable d’instaurer et de soutenir une nécessaire relation interpersonnelle duelle et paritaire, car son état psychologique l’a empêchée de créer et de vivre une communauté de vie minimale et tolérable, ordonnée au bien des conjoints et à celui des enfants.

 

 

Constat de nullité

pour les 2 chefs du c. 1095, 2° et 3°

 

 

Vetitum pour l’épouse

 

 

Kenneth BOCCAFOLA, ponent

Giovanni Baptista DEFILIPPI

Robert M. SABLE

__________

 

[1] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 347

[2] C. HUBER, 4 mars 1998, SRRDec, vol. XC, p. 121-122, n. 5

Alwan 23/07/2009

Coram  ALWAN

 Simulation  totale

 Malte – 23 juillet 2009

P.N. 16.552

Constat de nullité

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. L’authentique amour conjugal
  2. Quand le véritable amour n’existe pas
  3. La simulation, totale ou partielle
  4. Le manque d’amour n’affecte toutefois pas la validité du consentement
  5. La preuve de la simulation
  6. Les causes de l’exclusion du bien du sacrement et celles de l’exclusion du mariage

lui-même

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Après cinq ans de fréquentations puis de fiançailles, Pierre A., demandeur, et Marie-Thérèse C., partie appelée, célèbrent leur mariage le 11 octobre 1981. Pierre a 23 ans et Marie-Thérèse 21.

 

La vie conjugale, sans enfant, dure 3 ans et connaît l’échec. La séparation des époux, sanctionnée par la loi civile, est prononcée le 29 novembre 1984 et le Tribunal Civil, le 11 novembre 1985, déclare la nullité du mariage et la cessation de ses effets.

 

Le 12 février 1986, l’époux présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Malte, par lequel il demande la déclaration de nullité de son mariage pour simulation totale de sa part et pour exclusion, de sa part également, du bien des enfants. La sentence du 22 mars 1988 est négative sur les deux chefs.

 

Ce n’est pas Pierre, mais Marie-Thérèse, l’épouse partie appelée, qui fait appel au Tribunal de seconde instance qui, le 21 juin 1993, rejette le chef d’exclusion des enfants mais reconnaît la nullité du mariage pour simulation totale de la part de l’époux.

 

En troisième instance à la Rote, sur la demande de l’épouse, qui se constitue ainsi « la partie la plus diligente », la cause, déclarée abandonnée le 13 novembre 2003, est réassumée le 30 octobre 2004. Il Nous revient aujourd’hui de répondre au doute concordé sur la simulation totale de la part de l’époux.

 

*

*     *

EN  DROIT

 

  1. L’authentique amour conjugal

 

  1. L’amour entre l’homme et la femme est l’impulsion naturelle et fondamentale qui les incite à s’engager mutuellement pour toute la vie par l’alliance matrimoniale, afin de construire entre eux une communauté de vie et d’amour (cf. c. 1055). Le sacrement du mariage sanctifie cet amour et le rend plus efficace et plus fécond, parce qu’il a été établi par Dieu lui-même à l’exemple de l’amour du Christ pour son Eglise, comme l’enseigne le Concile Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes, au n. 48 : « La communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur ; elle est établie sur l’alliance des conjoints […]. Dieu lui-même est l’auteur du mariage […] (§ 1). « Le Christ Seigneur a comblé de bénédictions cet amour aux multiples aspects, issu de la source divine de la charité, et constitué à l’image de son union avec l’Eglise. De même en effet que Dieu prit autrefois l’initiative d’une alliance d’amour et de fidélité avec son peuple, ainsi maintenant le Sauveur des hommes, Epoux de l’Eglise, vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement de mariage. Il continue de demeurer avec eux pour que les époux, par leur don mutuel, puissent s’aimer dans une fidélité perpétuelle, comme Lui-même a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle. L’authentique amour conjugal est assumé dans l’amour divin et il est dirigé et enrichi par la puissance rédemptrice du Christ et l’action salvifique de l’Eglise, afin de conduire efficacement à Dieu les époux, de les aider et de les affermir dans leur mission sublime de père et de mère (§ 2) ».

 

C’est pourquoi, lorsque vient à manquer l’amour comme cause efficiente de l’union, l’homme et la femme sont privés de motif pour consacrer mutuellement leur vie dans une communion perpétuelle, à moins qu’éventuellement ne subsiste un autre motif qui soit suffisant, sous l’aspect humain, spirituel ou matériel, pour se substituer à l’amour. En ce cas il en résulterait une « communauté de vie », mais pas une « communauté de vie et d’amour », comme est décrit le mariage dans la Constitution Gaudium et Spes, au n. 48, et comme on le lit dans une sentence c. Burke du 16 janvier 1997 : « Le mariage est l’effet d’un choix délibéré, c’est-à-dire d’une option. Plus profondément même il est la conséquence de deux choix délibérés qui se rejoignent en un seul. En ce sens le premier élément juridique de l’amour conjugal est l’appropriation valant lien, de la part de la volonté, de l’inclination vers l’autre partie, qui devient véritablement conjugale lorsqu’elle reçoit la réciproque de la volonté de l’autre au moment du consentement mutuel. L’amour conjugal, ‘puisqu’il va d’une personne vers une autre personne en vertu d’un sentiment volontaire […], conduit les époux à un don libre et mutuel d’eux-mêmes […][1]’. En d’autres termes l’électio (le choix délibéré) si singulière et si privilégiée de l’autre personne comme conjoint est l’électio (le choix délibéré) de l’amour conjugal. E-lectio autem fit di-lectio, l’é-lection se fait di-lection »[2].

 

  1. Quand le véritable amour n’existe pas

 

Il arrive souvent qu’en raison de l’absence d’un véritable amour, les parties, pour leur intérêt propre, personnel ou matériel ou pour d’autres motifs, qui n’ont aucun rapport avec le sacrement de l’union conjugale, simulent leur consentement nuptial pour contracter une union totalement étrangère au mariage chrétien, ou souvent dépouillée de ses propriétés ou de ses fins, c’est-à-dire sans ordonnancement au bien des conjoints et à la procréation d’enfants. Le Pontife Romain, dans son discours aux Auditeurs de la Rote Romaine en date du 21 janvier 1999, a fait à ce sujet la remarque suivante : « Votre expérience judiciaire vous fait toucher du doigt à quel point les dits principes sont enracinés dans la réalité existentielle de la personne humaine. En définitive, la simulation du consentement, pour donner un exemple, ne signifie rien d’autre que de donner au rite une valeur purement extérieure, sans que lui corresponde la volonté d’une donation réciproque d’amour, ou d’amour exclusif, ou d’amour indissoluble ou d’amour fécond. Comment s’étonner qu’un tel mariage soit voué au naufrage ? Une fois disparu le sentiment ou l’attrait, ce mariage est privé de tout élément de cohésion interne. Il manque, de fait, cet engagement oblatif réciproque qui, seul, pourrait en assurer la continuité »[3].

 

  1. La simulation, totale ou partielle

 

  1. Il y a simulation lorsqu’au moment du consentement l’un des conjoints, ou chacun d’eux, tout en exprimant extérieurement à l’autre son propre consentement pour fonder avec lui une communauté de toute la vie, en fait intérieurement ne le veut pas pleinement. Elle est la manifestation externe d’une volonté qui, en réalité, n’existe pas dans la véritable intention ni la véritable volonté de celui qui donne son consentement, ou qui existe de façon tout à fait différente de celle qui est manifestée extérieurement. Lorsque ce qui est exprimé fait totalement défaut dans l’intention du contractant, on parle de simulation totale. Par contre si ce qui est exprimé existe, mais qu’il est entendu d’une tout autre façon dans ses propriétés et éléments essentiels, on parle de simulation partielle. On lit dans une sentence c. Faltin du 16 avril 1997 : « Il en résulte que ‘il y a fiction ou simulation du consentement matrimonial lorsque, extérieurement, un contractant prononce correctement et rituellement des paroles qui expriment un consentement, mais qu’intérieurement il ne le donne pas’[4]. Cette fiction peut porter sur ‘le mariage lui-même’, dans la mesure où celui qui se marie ne veut intérieurement en aucune façon réaliser un mariage, ou bien lorsque, en contractant un mariage chrétien, il n’entend pas faire ce que font le Christ et l’Eglise, mais il entend poursuivre son propre intérêt, en rejetant absolument l’institution matrimoniale, c’est alors une simulation totale, ou encore il rejette ‘un élément essentiel ou une propriété essentielle du mariage’, et c’est alors une simulation dite partielle, puisque celui qui agit de la sorte entend certes contracter mais rejette les obligations qui résultent du contrat ».[5] [6]

 

  1. Le manque d’amour n’affecte toutefois pas la validité du consentement

 

  1. Sous l’aspect humain, l’amour constitue le fondement de la vie conjugale et la plupart du temps le choix délibéré du conjoint est surtout basé sur lui. Le manque d’amour, même si l’amour est un élément essentiel, n’affecte pas la validité du consentement.[7] Il pourrait toutefois fournir un grave motif pour le rejet du mariage – d’où une cause de simulation – dans le cas d’un mariage imposé par des pressions et des menaces.

 

  1. La preuve de la simulation

 

  1. Le c. 1101 § 1 établit une présomption de droit pour protéger la dignité et la stabilité du mariage, c’est-à-dire qu’il considère le mariage comme valide tant qu’il n’est pas prouvé que l’intention interne de l’âme était contraire à l’intention manifestée extérieurement : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage ». C’est pourquoi la preuve de la simulation se révèle difficile parce qu’il faut prouver quelque chose qui n’a pas été manifesté expressément et qui était caché dans l’esprit de la personne, à une époque antérieure. « Mais elle n’est pas impossible car, soit la confession extrajudiciaire, soit la cause grave et proportionnée de la simulation, prochaine et éloignée, prévalant sur la cause du mariage, peuvent être recueillies à partir de la déclaration sous serment de l’autre partie, à partir des dépositions de témoins dignes de foi, auxquels la nouvelle de la simulation a été confiée à une époque non suspecte, à partir du tempérament du simulant prétendu, de son éducation et de sa conduite dans la vie quotidienne pendant les fiançailles et la vie commune conjugale, enfin à partir des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes au mariage »[8].

 

L’acte positif de volonté requis au c. 1101 § 2 pour déclarer la simulation se prouve par la confession tant judiciaire qu’extra-judiciaire, mais surtout il se manifeste dans les mœurs et l’attitude de la personne soit avant, soit après le mariage.

 

  1. Les causes de l’exclusion du bien du sacrement, et celles de l’exclusion du mariage

    lui-même

 

  1. Les causes de l’exclusion du bien du sacrement peuvent être les mêmes que celles de l’exclusion du mariage lui-même, bien qu’il s’agisse de deux chefs différents, parce que dans le premier cas le mariage est accepté, mais pas sa perpétuité, tandis que dans le second c’est le mariage lui-même qui est franchement rejeté. Les deux chefs cependant peuvent avoir la même cause et les mêmes motifs de simulation, lorsque le simulant accepte le mariage sous la pression, extérieure, d’autres personnes, comme ses parents, ou en raison d’une crainte, intérieure, de scandale, de perte de renommée etc., comme on le lit dans une sentence c. Colagiovanni relative aux causes d’exclusion du bien du sacrement : « La cause de l’exclusion de la perpétuité du lien, que ce soit même de façon hypothétique, pourra être multiple : ou bien provenant d’un doute sur les qualités personnelles du conjoint, et donc existent de graves interrogations sur le succès de la vie de communauté interpersonnelle, ou bien provenant directement d’une cause externe, lorsque quelqu’un ne voudrait pas d’un mariage mais qu’il l’accepte parce qu’il ne veut pas s’opposer à ses parents ou parce qu’ainsi se trouve réglé un autre problème, par exemple pour acquérir une meilleure condition économique […] »[9]. La coercition et la pression sociale doivent être mises en parallèle avec la personnalité et le caractère de chaque individu, ainsi qu’en relation avec la personnalité de celui qui exerce la pression. C’est pourquoi la preuve de cette coercition et pression sociale réclame la présentation de critères semblables à ceux qui prouvent la violence et la crainte, c’est-à-dire l’évaluation de la personnalité du simulant dans son milieu et ses relations ainsi que selon sa mentalité, son intelligence et son degré de maturité.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Pierre et Marie-Thérèse étaient jeunes quand ils se sont connus dans une discothèque. Il avait 18 ans et elle 17. Leurs fréquentations ont duré 5 ans dont 2 de fiançailles.

 

  1. Les sentiments de Pierre pour Marie-Thérèse, pendant les fiançailles

 

Selon Pierre, à ce moment-là il s’est rendu compte que Marie-Thérèse n’était pas la femme qu’il souhaitait comme épouse ; il n’éprouvait aucun amour, aucune attirance pour elle et il ne voulait pas d’un mariage avec elle. Il ajoute qu’il a simulé totalement le mariage parce que, après la rupture de ses fiançailles, ses parents et ceux de Marie-Thérèse ont fait pression et l’ont obligé à se marier.

De plus, comme Pierre travaillait avec son père, ce dernier l’a menacé de le renvoyer s’il n’épousait pas Marie-Thérèse. Or Pierre n’avait aucune possibilité de vivre en dehors de son activité avec son père. Et il redit : « Je me suis marié parce que je n’avais pas le choix, et pour faire plaisir à mon père. Je n’avais aucun sentiment pour Marie-Thérèse. Et les familles n’auraient pas accepté un mariage civil ». Il déclare devant le Tribunal qu’il connaissait la nature et les propriétés du mariage, mais qu’il a simulé pour les motifs de manque d’amour, de conviction que le mariage ne pourrait pas marcher, et de pressions de la part de ses parents.

 

Cette déclaration équivaut à un acte positif de volonté d’exclusion.

 

  1. La crédibilité des parties

 

En ce qui concerne la crédibilité des parties, les Juges de première instance l’acceptent sans difficulté. L’épouse partie appelée a confirmé pratiquement tous les événements racontés par le demandeur et si, en seconde instance, elle a fait appel et s’est montrée la partie la plus diligente, cela ne signifie pas qu’elle ne soit pas crédible ou qu’elle ait menti, d’autant que tous les témoins et le mari lui-même déclarent qu’elle est tout à fait digne de confiance.

 

  1. Les confessions extrajudiciaires du mari

 

Dans le procès civil qui a abouti à la déclaration de nullité du mariage civil, les Juges relèvent que le mari, dans sa déposition, a reconnu qu’il s’était marié, non parce qu’il voulait se marier, mais parce qu’il voyait bien que la société et sa famille attendaient qu’il se marie.

 

Il y a d’autres confessions extrajudiciaires.

 

L’épouse déclare qu’elle a reçu les aveux de son mari, bien que seulement après le mariage : « Il s’est marié parce que sa mère faisait pression sur lui, il a décidé de se marier pour être débarrassé de ces pressions, il n’a jamais souhaité m’épouser ». Pierre confirme cette confession faite à Marie-Thérèse après le mariage.

 

La mère de Pierre, de son côté, affirme que Pierre lui a toujours dit qu’il n’aimait pas Marie-Thérèse et qu’il ne voulait pas l’épouser : « Maman, je l’épouse, mais pour moi c’est comme si je ne l’avais pas épousée, parce que je ne sens rien pour elle ».

 

Pierre s’était confié également à des amis.

 

  1. Les causes de la simulation

 

Elle se réduisent à trois : le manque d’amour, la coaction sociale et les pressions des parents, l’immaturité de l’époux.

 

  1. a) Le manque d’amour

 

Après quelques années de fréquentations, Pierre n’aimait plus Marie-Thérèse. Il l’a dit à tout le monde et l’a redit au Tribunal. Il ne l’aimait plus parce qu’il la trouvait jalouse, indépendante, instable, anxieuse. Le tempérament de la jeune fille était complètement différent du sien. Même Marie-Thérèse reconnaît que Pierre ne l’aimait pas et qu’il le lui avait dit avant le mariage. Tous les témoins confirment l’absence d’amour de Pierre pour Marie-Thérèse, en ajoutant que c’est Pierre lui-même qui leur avait fait cet aveu.

 

La vie conjugale a été un échec en ce qui concerne les relations intimes, « dès la lune de miel » selon l’épouse. Les témoins confirment cette situation.

 

De plus Pierre confirme qu’il ne voulait pas d’enfant, qu’il a été infidèle à Marie-Thérèse durant les fiançailles, ce qui a causé également la rupture de celles-ci.

 

  1. b) La pression sociale et celle des parents

 

A Malte, se fréquenter pendant 5 ans, surtout avec des fiançailles, doit se conclure par un mariage, sinon c’est un scandale, comme le père du mari l’explique au Tribunal.

 

La mère du jeune homme est dominatrice, comme tous le reconnaissent. Elle avoue devant le Tribunal qu’elle a fait pression sur son fils pour qu’il épouse Marie-Thérèse. Le père de Pierre de son côté a menacé son fils dans le même but. « Sur son lit de mort, déclare Pierre – et son oncle prêtre confirme le fait -, mon père m’a demandé pardon de m’avoir obligé à épouser Marie-Thérèse et il a écrit un document à ce sujet ». L’épouse et les témoins confirment cette demande de pardon.

 

  1. c) L’immaturité du mari

 

Elle est attestée par tous les témoins.

 

  1. La cause de la simulation et la cause du mariage

 

La comparaison entre la cause de la simulation et la cause qui a poussé au mariage doit être faite en évaluant les circonstances du mariage et l’attitude du mari simulant, avant et après le mariage.

 

Un certain nombre de faits montrent l’acte positif de volonté d’exclusion ainsi que la prévalence de la cause de la simulation sur la cause qui a poussé au mariage :

 

– la négligence du demandeur dans la préparation de son mariage, et l’absence de discussions entre les fiancés sur leur vie future, comme le reconnaissent Pierre et Marie-Thérèse ;

– l’absence de joie au moment de la célébration et par la suite ;

– l’échec du mariage dès le début de la vie commune, et la vie séparée des époux dans la même maison ;

– le manque de communication entre les époux et la difficulté de leurs relations intimes ;

– les précautions prises par les deux époux pour ne pas avoir d’enfants ;

– la brièveté de la vie conjugale, l’adultère du mari et le mariage civil de ce dernier aussitôt après la séparation des époux, ce qui confirme également le manque d’amour du demandeur pour sa femme et sa volonté de tenir pour rien le lien matrimonial.

 

 

Constat de nullité

pour simulation totale du mari demandeur

 

Vetitum pour le mari

 

John G. ALWAN, ponent

Kenneth E. BOCCAFOLA

Robert M. SABLE

 

__________

 

[1] Constitution Pastorale GAUDIUM et SPES, n. 49

[2] C. BURKE, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 23, n. 25

[3] AAS 91, 1999, p. 624-625

[4] P. Card. GASPARRI, De Matrimonio, vol. II, n. 814

[5] Cf. c. BRUNO, 21 mars 1980, SRRDec, vol. LXXII, p. 200 sq.

[6] C. FALTIN, 16 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 305, n. 8

[7] Cf. c. BONET, 4 juin 1968, SRRDec, vol. LX, p. 408 ; c. PINTO, 30 juillet 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 902 ; c. PARISELLA, 13 novembre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 987 ; c. MERCIECA, 24 octobre 1970, SRRDec, vol. LXII, p. 933 ; c. BURKE, 16 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 18, n. 12 ; etc. …

[8] C. STANKIEWICZ, 23 octobre 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 770-771, n. 14

[9] C. COLAGIOVANNI, 9 avril 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 230, n. 12

Alwan 8/06/2010

Coram  ALWAN

 Exclusion de l’indissolubilité

 Tribunal régional des Pouilles (Italie) – 8 juin 2010

P.N. 19.383

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE MARIAGE,  ALLIANCE  D’AMOUR  CONJUGAL
  2. Une alliance sainte
  3. L’amour conjugal et l’engagement pour toute la vie
  4. Le manque d’amour et l’exclusion de l’indissolubilité
  1. L’EXCLUSION DE  L’INDISSOLUBILITÉ
  2. L’acte positif de volonté pour l’exclusion
  3. La manifestation et la preuve de l’exclusion

 

III.  LE  CAS  PARTICULIER  D’UNE  GROSSESSE  CAUSE  DU  MARIAGE

 

  1. EN CAS  DE  VERSIONS  DIFFÉRENTES  DES  FAITS  SELON  LES  PARTIES

 

 

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

En raison d’une grossesse inopinée, Elvira F., née le 3 juin 1978, épouse le 2 février 1998, après trois ans de fréquentations, Michele M., né le 27 octobre 1974.

 

Leur fille naît le 25 août 1998. La vie conjugale est malheureuse, en raison de l’infidélité du mari et de sa conduite irresponsable, dangereuse et imprudente. Le 25 juillet 2001, l’épouse quitte le domicile conjugal et la séparation est homologuée 2 jours après.

 

Ne voulant pas reprendre la vie commune et désireuse de retrouver un état normal devant l’Eglise, l’épouse s’adresse au Tribunal régional des Pouilles, le 15 juillet 2002, lui demandant la déclaration de nullité de son mariage pour exclusion de l’indissolubilité de sa part. La sentence du 12 octobre 2004 est négative.

 

L’épouse fait appel directement à la Rote. Le 7 mars 2006, le Ponent du Tour concorde le doute sous la formule habituelle : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion de l’indissolubilité de la part de l’épouse demanderesse ? ».

 

 

*

*     *

EN  DROIT

 

  1. LE MARIAGE,  ALLIANCE  D’AMOUR  CONJUGAL

 

Deux propriétés essentielles, l’unité et l’indissolubilité, distinguent, en raison de son institution divine, le mariage chrétien des autres figures de mariage (c. 1056), puisque celui-ci est la donation totale de soi-même, exclusive, perpétuelle et mutuelle, manifestée par un pacte irrévocable entre l’homme et la femme, et instituée par un consentement personnel, qui ne peut être suppléé par aucune puissance humaine.

 

  1. Une alliance sainte

 

Ce pacte est une alliance qui est inspirée par la Sainte Ecriture, comme l’enseigne le Pape Jean-Paul II dans l’Angelus du 3 juillet 1994 : « Comme une image efficace, l’Ecriture Sainte enseigne que les époux sont appelés à être « une seule chair » (Gen. 2, 24). Il s’agit, en fait, d’une alliance d’amour, qui investit la totalité, corporelle et spirituelle, des conjoints. Au moyen de l’union de leurs corps, ils expriment la profondeur et le caractère définitif de leur don réciproque ». Cette « alliance d’amour » reprend ses propriétés essentielles de sa similitude avec l’alliance d’amour entre Dieu créateur et l’homme, sa créature, amenée à la perfection dans l’union indivisible entre Jésus-Christ et l’Eglise son épouse, comme l’enseigne Jean-Paul II dans son Exhortation Apostolique Familiaris Consortio (n. 20) : « Enracinée dans le don plénier et personnel des époux et requise pour le bien des enfants, l’indissolubilité du mariage trouve sa vérité définitive dans le dessein que Dieu a manifesté dans sa Révélation : c’est Lui qui veut et qui donne l’indissolubilité du mariage comme fruit, signe et exigence de l’amour absolument fidèle que Dieu a pour l’homme et que le Seigneur Jésus manifeste à l’égard de son Eglise ».

 

  1. L’amour conjugal et l’engagement pour toute la vie

 

L’amour entre les époux demeure l’élément primaire qui les pousse ordinairement à constituer une union pour toute la vie et qui constitue la cause pour laquelle ils se marient, mais ce n’est pas pour cela qu’il est un élément absolument nécessaire, parce qu’il peut y avoir plusieurs autres motifs de la célébration du mariage, même en l’absence d’un véritable amour. Le Pape Jean-Paul II, dans son Discours à la Rote du 21 janvier 1999, fait une distinction entre l’amour en tant que « vague sentiment ou également forte attirance psychophysique » et « l’amour effectif de l’autre, substantiellement constitué du désir sincère de son bien, et qui se traduit par un engagement concret pour le réaliser »[1].

 

Selon le Pasteur de toute l’Eglise sur la terre, l’amour vraiment conjugal existe lorsqu’il se traduit en engagement pour toute la vie, à l’instar de celui du Christ : « L’amour conjugal, donc, n’est pas seulement ni surtout un sentiment. Au contraire il est essentiellement un engagement envers l’autre personne, engagement qui s’assume par un acte précis de volonté. C’est proprement cela qui qualifie un tel amour en le rendant conjugal. Une fois donné et reçu l’engagement par le moyen du consentement, l’amour devient conjugal, et il ne perd jamais ce caractère »[2].

 

  1. Le manque d’amour et l’exclusion de l’indissolubilité

 

Lorsqu’un véritable amour constitue la cause qui pousse au mariage, il est difficile de croire que les époux ont déjà auparavant exclu l’unité et l’indissolubilité du mariage, parce que l’intention d’une donation mutuelle et perpétuelle est contenue dans leur véritable amour. Toutefois cette règle générale souffre des exceptions. De même, lorsque viennent à manquer le véritable amour et l’intention de s’unir pour toute la vie, l’intention d’exclure la perpétuité est souvent présumée présente dans l’esprit des contractants, comme l’est aussi l’intention d’exclure la fidélité mutuelle. Par lui-même le véritable amour, pour qu’il soit la cause du mariage, prévaut sur toute intention de simulation et toute intention d’exclusion. Il faut cependant que cet amour déclaré par les parties soit reconnu et qualifié.

 

  1. L’EXCLUSION DE  L’INDISSOLUBILITÉ

 

  1. L’acte positif de volonté pour l’exclusion

 

  1. La simple volonté contraire à l’indissolubilité ou à l’unité du mariage n’irrite pas le consentement matrimonial, qui jouit de la faveur du droit et qui est protégé par une présomption d’absence de toute simulation, tant qu’il n’est pas prouvé qu’il y a eu une véritable intention d’exclusion par un acte positif de volonté (cf. c. 1101), conçue par l’un des contractants ou les deux.

 

C’est pourquoi la jurisprudence fait une distinction entre, d’une part, la simple intention contraire à l’indissolubilité dans l’esprit de celui qui se marie, et, d’autre part, l’exclusion par un acte positif de volonté : « Certes celui qui, par disposition d’esprit, est opposé à l’indissolubilité, est davantage enclin à émettre un acte positif de volonté par lequel il l’exclut. La plupart du temps cependant il s’abstient de l’émettre, parce qu’il est retenu de le faire par la religion, ou parce qu’il pressent qu’il ne pourra pas réaliser la dissolution du lien qu’il va contracter. Alors, ou bien il accepte l’indissolubilité, même si elle lui est désagréable au plus haut point, pour ne pas s’opposer à la volonté de Dieu qui la prescrit, ou bien il se conduit passivement, ou encore il décide positivement de rompre le lien de façon absolue ou de façon hypothétique, c’est-à-dire si certains événements se produisent. Dans le premier cas, il émet un acte positif de volonté par lequel il accepte l’indissolubilité ; dans le deuxième cas il reste dans une disposition d’esprit opposée à l’indissolubilité ; dans le troisième cas il exclut l’indissolubilité par un acte positif de volonté. C’est pourquoi celui qui accède au mariage avec seulement une disposition d’esprit contraire à l’indissolubilité contracte validement, parce qu’il n’exclut pas le bien du sacrement par un acte positif de volonté, bien qu’il ne l’accepte pas non plus par un acte positif de volonté »[3].

 

Ne sont pas du tout identiques l’acte positif de volonté par lequel une personne décide de se marier et l’acte positif de volonté par lequel est exclu le mariage lui-même ou l’une de ses propriétés. Dans le premier cas toutes les capacités critiques sont requises, ainsi que l’opération correcte des facultés de l’intelligence et de la volonté. Dans le second cas, on ne regarde que la faculté de la volonté, c’est-à-dire la récusation positive d’une propriété essentielle dans son propre mariage, même si la personne n’a pas pleinement compris ou évalué cette propriété. La volonté décisoire se trouve dans l’exclusion, mais pas l’intelligence ; il suffit en effet de se rappeler l’erreur sur l’unité ou l’indissolubilité, qui n’irrite pas le consentement pourvu qu’elle ne détermine pas la volonté (c. 1099). « Et qu’on n’objecte pas que la volonté suit nécessairement l’intelligence, parce que la jurisprudence rotale, se souvenant peut-être de la phrase d’Ovide, ‘Je vois le mieux et je l’approuve. Je suis le pire’[4], enseigne que ‘cela ne répugne pas à la psychologie humaine : chaque fois en effet qu’en agissant nous mettons derrière nous nos convictions intimes pour en suivre d’autres qui sont plus appropriées à la réalité !’[5] »[6]. C’est pourquoi, même si la partie est perplexe ou hésitante au moment où elle émet son consentement, cela n’empêche pas qu’elle puisse, par un acte positif de volonté, exclure une propriété essentielle du mariage.

 

  1. La manifestation et la preuve de l’exclusion

 

  1. Généralement l’acte positif de volonté ne s’exprime pas ou ne se déclare pas en public dans les termes où il se conçoit intérieurement, mais il se prouve surtout par des déclarations faites à une époque non suspecte, par des attitudes avant et après le mariage, par des circonstances et des réactions de la partie simulante face à certains événements. L’acte positif de volonté d’exclusion se manifeste par un signe externe ou il se manifeste implicitement par une apparence extérieure déterminante de la volonté.[7]

 

Outre la confession, judiciaire et extrajudiciaire, du simulant, sont considérés comme des preuves en certains cas les documents rédigés à une période non suspecte, comme des lettres, des journaux intimes, ou d’autres documents où se montre la volonté d’exclusion, prévalente sur la cause qui a poussé au mariage. De tels documents peuvent avoir la force de preuve plénière, surtout parce qu’ils ont été composés à une époque non suspecte et qu’ils montrent la véritable volonté de leur auteur.

 

  1. Pour prouver l’exclusion, outre la preuve de l’acte positif de volonté, on a recours à l’évaluation de la cause prochaine de la simulation, parce qu’il est difficile de prouver la simulation par la seule cause lointaine : « Puisque l’importance de la cause de l’exclusion est évidente, il faut dire qu’il ne suffit pas qu’il existe une cause lointaine pour détecter la simulation ; il faut toujours, en outre, faire plutôt attention à la cause prochaine, c’est-à-dire à la cause concrète, de l’exclusion alléguée »[8]. La cause lointaine et la cause prochaine de la simulation, pour dirimer le consentement, doivent prévaloir sur la cause du mariage et ne pas coïncider avec elle : « Pour prouver l’acte positif de volonté, […] on ne considère pas seulement les paroles par lesquelles le simulant ou les témoins font état judiciairement de cet acte de volonté, mais il faut de plus considérer les causes de la simulation (lointaine et prochaine), qui se distinguent nettement de la cause de la célébration du mariage, ainsi que le complexe des circonstances (parmi lesquelles se signale la façon de se conduire du simulant allégué), qui, sans ambiguïté, conduit au consentement simulé ou est en pleine contradiction avec lui »[9].

 

III.  LE  CAS  PARTICULIER  D’UNE  GROSSESSE  CAUSE  DU  MARIAGE

 

Dans certains cas la grossesse d’une femme constitue souvent la cause du mariage, ce qui d’ailleurs ne signifie pas ipso facto que dans ces cas le consentement est nul pour exclusion du mariage lui-même ou pour exclusion de l’indissolubilité, sauf s’il y a une cause grave et prévalente de simulation. Souvent, lorsque des jeunes gens s’aiment et qu’ils forment le projet de se marier, la grossesse ne fait rien d’autre que de hâter la décision du mariage. Au contraire, si l’amour est absent et que les jeunes gens, pour d’autres raisons graves, excluent toute possibilité d’instituer une communauté conjugale de toute la vie, la grossesse, dans ce cas, en tant que cause du mariage « de réparation », peut devenir la preuve d’une exclusion totale ou partielle, chaque fois que sont prouvées la gravité et la prévalence de la cause de la simulation. Et cela est d’autant plus persuasif lorsqu’il est prouvé que la grossesse est entachée de dol ou de machination, pour extorquer le consentement matrimonial de l’autre partie. Dans ce cas il est assez facile de prouver l’exclusion, non seulement de l’indissolubilité, mais du mariage lui-même.

 

 

 

 

 

  1. EN CAS  DE  VERSIONS  DIFFÉRENTES  DES  FAITS  SELON  LES  PARTIES

 

  1. Il est nécessaire, en cas de divergence de la version des faits entre les parties, de démontrer leur crédibilité et celle des témoins. La jurisprudence admet souvent la rétractation de la déposition d’une partie, lorsqu’il existe une raison valide et juste qui la justifie.[10] Une nouvelle version des faits présentée par la même partie peut d’autant plus être acceptée qu’existent des raisons qui la justifient : « En outre il faut bien distinguer la rétractation, par laquelle on affirme fausse la première déposition ou une déposition postérieure, de la simple correction, qui tend plutôt à corriger ce qui n’a pas été correctement dit ou mal transcrit dans les actes, et encore un ajout complémentaire, par lequel les déclarations déjà faites sont complétées et précisées, de telle sorte que la vérité intégrale brille dans son universalité et sa plénitude. Lorsqu’il n’y a qu’un complément, celui-ci, naturellement, est admis plus facilement que la rétractation, même si est intervenue l’omission par mauvaise foi de quelque circonstance ou s’il s’est produit un savant emploi de termes ambigus et vagues. Sans oublier que la réticence d’une vérité peut provenir parfois de questions imprécises posées par le juge instructeur à une partie ou à un témoin »[11].

 

De même il faut admettre les nouvelles versions des faits lorsque la partie prouve auparavant qu’en raison de menaces qu’elle a subies ou pour éviter de sérieux dommages ou de fortes querelles ou enfin en vue d’un avantage économique ou d’une autre cause, elle n’a pas dit toute la vérité ou elle a dissimulé volontairement des informations utiles à la découverte de la vérité ; et ceci surtout lorsque la vérité occultée tournait en faveur de celui qui l’a dissimulée. « Une grave difficulté naît de la rétractation d’une des parties ou d’un témoin. Cependant les justifications doivent être attentivement examinées par le juge. En effet quelqu’un a pu dire des choses fausses dans une première déposition à cause de sa haine ou pour obtenir ou garder un avantage économique. Si par la suite il se persuade de la nécessité de dire la vérité, on peut lui accorder de la crédibilité, pourvu que la rétractation soit cohérente avec tous les autres faits reçus et certainement prouvés »[12].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Entre l’instruction de la présente cause au premier degré et la déposition de l’épouse demanderesse à la Rote, en seconde instance, il y a tant de différences qu’on pourrait croire avoir affaire à deux causes sans rapport entre elles.

 

En effet, en première instance, l’épouse et ses témoins ont évité de parler du caractère du mari, partie appelée, de sa conduite violente et contraire à la loi, par peur de ce mari et, également, sur le conseil de l’avocat d’office de l’épouse. Comme le dit celle-ci en seconde instance, « je n’ai pas parlé […] de son usage de la drogue, de ses activités illégales et de son comportement violent envers moi et envers ma famille […] parce que Michele nous avait menacés ». Les Juges de première instance avaient bien remarqué que la demanderesse et ses témoins unanimes ne parlaient pas clairement, « avec une certaine peur ».

 

Après sa déposition à la Rote, la demanderesse a remis au Tribunal un exemplaire du journal de sa région qui faisait état de trafic de drogue et d’armes, de la part du mari, et de sa condamnation à 7 ans de prison. C’est après l’arrestation et l’incarcération de Michele qu’Elvira a osé dire la vérité. On comprend la perplexité des juges de première instance, qui ne pouvaient pas déceler un acte positif de volonté d’exclusion de l’indissolubilité chez l’épouse, ni découvrir la cause de la simulation, et qui ont dû prononcer une sentence négative.

 

La nouvelle déposition de la demanderesse et la condamnation du mari ont modifié la position juridique des parties et donné une plus grande crédibilité à la version des faits de l’épouse.

 

De plus, Elvira a remis au Tour Rotal son journal intime, qui a été écrit à une époque non suspecte et qui montre la domination psychologique que Michele lui faisait subir, et le fait qu’étant donné sa grossesse, elle avait dû choisir entre le moindre mal, c’est-à-dire le mariage, et un mal plus important, c’est-à-dire l’avortement, en excluant l’indissolubilité de son mariage.

 

En ce qui concerne la cause de la simulation précisément, la demanderesse, à la Rote, a expliqué qu’au début de ses fréquentations avec Michele, elle avait remarqué son immaturité, ses relations avec des drogués et des jeunes gens sans travail mais avec des problèmes avec la Justice. Elle avait donc décidé de rompre, mais Michele « avait une grande puissance psychologique sur (elle) en raison de sa personnalité forte et changeante ».

 

En première instance Michele a présenté des documents pour prouver l’amour qu’Elvira avait pour lui, et sa volonté de l’épouser. Parmi ces documents se trouvaient des passages du journal intime d’Elvira et quelques lettres qu’elle lui avait envoyées. Mais ces écrits se rapportent au début de leurs fréquentations, à un moment où Elvira, comme elle le reconnaît, était amoureuse de Michele. La demanderesse remarque que ce dernier n’a pas présenté au Tribunal des lettres ultérieures où elle exprimait son désir de le quitter et « la souffrance qu’elle éprouvait à être avec lui ».

 

Elvira a même essayé de le fuir, en quittant Bari pour Rome, mais Michele a fini par découvrir son adresse et il l’a rejointe. Elle écrit dans son journal, le 29 octobre 1977 : « Miki est passé à l’attaque […]. C’est un fou […]. Il s’obstine à me chercher […] et je ne me sens pas en sécurité avec lui. Je ne veux plus le voir, mais il a un pouvoir sur moi ».

 

On peut voir par ces écrits la véritable cause prochaine de la simulation.

 

Et la grossesse est survenue : « il m’a cherchée et nous nous sommes rencontrés. Nous avons eu un rapport intime et il m’a dit qu’il m’aurait à lui pour toujours. Il n’a rien fait pour protéger notre rapport intime […]. Je suis retournée chez moi désespérée en espérant qu’il n’arriverait rien. J’ai décidé à cette occasion de rompre pour toujours avec lui. Mais quelques jours après j’ai découvert que j’étais enceinte ». Elle écrit dans son journal, le 7 décembre 1977 : « J’ai peur de demain. Hier soir je l’ai revu, une nuit de cauchemar […]. Il a violenté mon âme, il a bafoué ma dignité ».

 

Ces lignes écrites quelques mois avant le mariage, à une époque non suspecte, confirment la crédibilité de la demanderesse et confirment également que la cause du mariage a été seulement la grossesse inattendue, provoquée par dol pour obtenir le consentement matrimonial.

 

Elvira a remis encore au Tour Rotal un mémoire qu’elle avait présenté au Tribunal correctionnel de Bari, le 1° juin 2001, un an avant qu’elle ne s’adresse au Tribunal ecclésiastique, le mémoire étant donc rédigé à une époque non suspecte. Elle écrit l’histoire de ses rencontres, de ses fréquentations avec Michele, son désir de rompre, le dol perpétré par le jeune homme pour la forcer à l’épouser.

 

Tout ceci démontre une cause valide de simulation, prévalant sur le mariage inévitable et sur la cause du mariage. Elvira, selon ce qui ressort des documents cités, semble avoir été terrifiée à la seule pensée de rester avec Michele. Il aurait donc été absurde pour elle de prendre la décision d’un mariage stable et pour toute la vie avec lui, s’il n’y avait pas eu sa grossesse, et à partir de là le mariage de réparation.

 

Les témoins confirment la thèse de la demanderesse : il est inutile ici de reprendre leurs dépositions.

 

En conclusion les Pères Auditeurs du Tour soussignés sont persuadés que dès avant le mariage Elvira a tenté de rompre ses fréquentations avec Michele et n’a plus voulu l’épouser, et que c’est seulement sa grossesse, résultant d’un dol, qui l’a contrainte à épouser Michele, pour le bien de l’enfant qu’elle attendait, en excluant par conséquent, par un acte positif de volonté, l’indissolubilité de ce mariage.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion de l’indissolubilité

de la part de l’épouse demanderesse

 

Vetitum pour l’épouse

 

John G. ALWAN, Ponent

Giordano CABERLETTI

Angelo Bruno BOTTONE

 

__________

 

[1] AAS 91, 1999, p. 623-624

[2] Même endroit

[3] C. DE JORIO, 13 juillet 1966, SRRDec, vol. LVIII, p. 577, n. 6

[4] OVIDE, Métamorphoses, VII, 20-21 ; cf. Rom. 7, 15

[5] C. FELICI, 12 mai 1959, SRRDec, vol. LI, p. 257, n. 2

[6] C. GIANNECHINI, 23 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 43, n. 2

[7] Cf. D. STAFFA, De conditione contra matrimonii substantiam, II, Rome 1955, p. 17, not. 24 et 27

[8] C. POMPEDDA, 17 mai 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 401, n. 11

[9] C. DEFILIPPI, 11 juin 1996, n. 3

[10] Cf. c. FUNGHINI, 18 décembre 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 848, n. 5 ; c. de LANVERSIN, 10 novembre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 538-539, n. 10-11 ; c. SABLE, 24 février 1998, SRRDec, vol. XC, p. 104, n. 10 ; c. ALWAN, 13 janvier 2006, n° 11

[11] C. FUNGHINI, 18 décembre 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 848-849, n. 5

[12] C. CABERLETTI, 23 juillet 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 587, n. 7

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