Peut-on parler de médiation judiciaire et administrative dans les sociétés religieuses ?
La réponse à cette question nécessite de questionner le droit propre de ces sociétés à savoir :
Pour ce qui concerne les Églises chrétiennes, commençons par quelques passages des Écritures :
De ces passages, interprétés à la lumière de l’ensemble de l’Écriture et de la tradition chrétienne, nous retiendrons cinq points :
Chez les chrétiens, la justice a fonctionné, au point qu’aux IVe et Ve siècles, certains évêques, dont saint Augustin, se plaignirent d’être surchargés de procès, qui les détournaient de leur vraie mission.[5]
Au XXe siècle, le Concile Vatican II a profondément modifié la vision que l’Église catholique avait d’elle-même, en passant d’une Église hiérarchique, vue comme société parfaite, à une Église basée sur la communion entre les fidèles d’égale dignité, du fait de leur baptême[6]. Ainsi la justice de l’Église a-t-elle désormais pour objet le salut des âmes et « la reconstitution de la communion ecclésiale »[7]
Le 15 août 1967, peu après le Concile Vatican II, le pape Paul VI a considéré qu’il ne suffisait pas de donner des droits et des obligations aux fidèles, mais qu’il fallait aussi leur donner le moyen de les faire respecter, notamment vis-à-vis des abus de pouvoir de la hiérarchie ecclésiastique. Il a ainsi créé une section administrative au sein du Tribunal suprême de la Signature apostolique, chargée de trancher « les contestations nées de l’exercice du pouvoir administratif ecclésiastique ».
En 1983, l’Église a révisé son code de droit canonique pour l’Église romaine[8], en évoquant la médiation conventionnelle (avant les procès) et judiciaire (au cours des procès), comme indiqué ci-après :
Can. 1733 — § 1. Il est hautement souhaitable que chaque fois qu’une personne s’estime lésée par un décret, le conflit entre elle et l’auteur du décret soit évité et que soit recherchée entre eux d’un commun accord une solution équitable, en utilisant au besoin la médiation et les efforts de sages, pour éviter le litige ou le régler par un moyen adéquat.
Can. 1733 — § 2. La conférence des évêques peut décider que soit constitué de manière stable dans chaque diocèse un organisme ou un conseil dont la charge sera de rechercher et de suggérer des solutions équitables selon les normes établies par la conférence ; mais si la conférence ne l’a pas ordonné, l’Évêque peut constituer un conseil ou un organisme de ce genre.
Can 1446 — § 2. Au début du procès et même à tout moment, chaque fois qu’il entrevoit quelque espoir d’une solution favorable, le juge ne doit pas omettre d’exhorter et d’aider les parties à chercher d’un commun accord une solution équitable à leur différend, et il leur indiquera les moyens convenables à cette fin, en ayant notamment recours à la médiation de sages.
En application du canon 1733 § 2, l’Église a expérimenté la médiation dans de nombreux pays avec des modalités et des résultats variables :
En France, le Secrétariat général de l’épiscopat a publié en 1993 un document intitulé « Laïcs chargés d’une mission dans l’Église », invitant les diocèses volontaires à mettre en place des conseils de médiation. Vingt-sept diocèses pilotes les ont expérimentés en 1994 et 1995, mettant en évidence deux difficultés :
Ainsi, la Conférence des évêques de France a adopté, le 6 novembre 1996, un décret prévoyant que chaque évêque crée un « conseil diocésain de médiation » pour rechercher des solutions équitables en cas de conflit. Ce décret ayant été approuvé par la Congrégation des évêques du Saint-Siège, 40 évêques français ont créé de tels conseils, 21 ont choisi de ne pas en créer tandis que les autres restaient indécis[9].
Outre ces conseils diocésains, quelques instances nationales de médiation ont été créées et fonctionnent encore aujourd’hui :
À l’étranger, le canon 1733 §2 a reçu diverses formes d’application, par exemple :
Malgré ces avancées dans de nombreux pays, la médiation dans l’Église catholique n’a pas reçu le succès escompté, sans doute du fait de quatre raisons suivantes :
Plus fondamentalement, la justice administrative de l’Église propose cinq étapes pour rétablir la communion en cas de conflits, dont trois prévoient une médiation possible ou recommandée :
Personnellement, j’estime que la médiation est tout à fait fondamentale dans l’Église, car elle seule permet une juste réconciliation entre les parties, contrairement :
En conséquence, il importe de créer et de développer un réseau des médiateurs des Églises, croyances et religions (ReMede), relié au Conseil international de la médiation d’une part, et aux hiérarchies respectives des sociétés religieuses d’autre part, pour promouvoir la médiation dans ces Églises et sociétés, et pour y effectuer des médiations en s’appuyant sur leur spiritualité et leurs valeurs respectives[13].
Alain Ducass, coach, médiateur et canoniste
[2] https://energeTIC.fr/mediation/
[3] La « Conférence internationale de la médiation pour la justice » (CIMJ), créée en 2009 est devenue en mai 2019, le Conseil international de la médiation, association sans but lucratif, constituée selon la loi française du 1er juillet 1901. Son objectif est de créer un réseau des acteurs internationaux de la médiation.
[4] Un approfondissement exégétique serait bienvenu pour être plus précis.
[5] Jean Gaudemet, Église et cité, histoire du droit canonique, Paris, Cerf, Montchrestien, 1994, p. 112.
[6] Lumen Gentium, constitution dogmatique sur l’Église, 21 novembre 1964.
[7] Benoit XVI, pape discours du 4 février 2011 à l’Assemblée plénière du Tribunal suprême de la Signature apostolique.
[8] et en 1990 pour les Églises orientales ;
[9] Donguy (Jean), « Application en France des canons 1733 et 1734 relatifs aux conseils de médiation ». Mémoire de droit canonique soutenu le 2 juin 2000 à la faculté de droit canonique de Paris.
[10] Les statuts de 2013 de l’enseignement catholique ont introduit un article 83 consacré à la médiation alors qu’il n’y en avait pas dans les précédents statuts de 1992.
[11] https://groupemediations.com
[12] L’injonction du droit canonique : « Il faut s’efforcer d’éviter les conflits » prête à mon avis à confusion. J’aurais préféré qu’il dispose « « il faut s’efforcer d’éviter la violence des conflits »
[13] Au début de l’année 2020, le réseau ReMede comporte une dizaine de médiateurs ayant exercé leur art dans l’Eglise, et il est en train de se structurer à l’instar du réseau Talenthéo pour les coachs chrétiens.
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