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6.1. La posture de l’accompagnant

Souvent, des personnes de bonne volonté s’efforcent de venir en aide à des familles en difficulté, et notamment les proches de ces personnes et de ces familles.  L’effet plus ou moins bénéfique de leur intervention dépendra notamment de leur intention, de leur expérience et de leur posture.

Voici tout d’abord comment j’agissais avant d’être formé :

J’ai souvent rencontré en Afrique des hommes ou des femmes qui avaient été délaissées par leur conjoint, ou qui étaient en passe de l’être pour des raisons fallacieuses[1]. Sensible à leur souffrance, liée à leur apparente impuissance, je leur ai souvent conseillé de rechercher un tiers qui puisse avoir une certaine autorité sur leur conjoint, comme par exemple l’oncle ou le chef traditionnel, le curé, le pasteur ou l’imam, le président de l’association qu’ils fréquentent, etc. Ce faisant, le conjoint, dont la parole est niée, pourra être entendu, si son propos est relayé par un autre.

Dans d’autres cas, mon épouse et moi avons rencontré des hommes ou des femmes qui nous ont confié leurs difficultés de couple, et, dans ce cas, nous nous sommes efforcés de ne pas prendre parti, considérant que nous n’avions aucune légitimité pour le faire, mais que nous pouvons écouter avec empathie la souffrance de la personne, et donner éventuellement quelques points de repères sur des situations voisines que nous avons pu vivre, en précisant bien que chaque cas est différent.

Aujourd’hui, j’ai appris à distinguer huit postures distinctes en fonction du type de mandat reçu par l’accompagnant et par la posture qu’il adopte par rapport à eux.

 Position bassePosition haute
Sans mandatParent, ami, collègue, inconnu,Gourou, donneur de leçons, parent, ami, collègue…
Avec mandat d’un conjointParent, ami, Thérapeute, Coach, Conseil conjugalParent, ami, Thérapeute, Coach, Conseil conjugal
Avec mandat des deux conjointsMédiateur ad hocArbitre
Avec mandat de la sociétéMédiateur désigné par le jugeJuge

Un de mes points de repère actuel est la conviction que toute intervention dans la vie d’un autre qui ne résulte pas d’un mandat explicite ou implicite de sa part crée une violence qui peut aller jusqu’à un viol psychique.

Le Code pénal français qualifie le viol (article 222-23) de crime et il le définit « comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». 

Parallèlement, la violence psychologique, ou morale  est une forme de violence ou d’abus envers autrui, qui peut se manifester par des paroles ou des actes qui influencent l’autre dans ses sentiments d’être aimé ou détesté. Il peut résulter un traumatisme puni par la loi de certains pays[2].

Une fois admis que le conseiller n’est pas un sauveur tout puissant qui viendrait déverser son savoir indépendamment du désir de l’autre, il reste à préciser de quel point de vue il parle à un moment donné. Ce peut être :

  • un témoin empathique, par exemple un parent, un ami, marié ou non, qui a traversé une épreuve voisine de celle de son interlocuteur et peut partager son expérience sur une situation donnée ;
  • un ami, qui ne cherche pas à apporter de réponse mais qui va montrer son amitié en aidant ainsi l’ami à se faire confiance à lui-même ;
  • un passeur, qui met en relation celui qui cherche à savoir avec celui qui sait ;
  • un guide, expérimenté par son vécu dans des situations similaires, capable d’expliquer le chemin qu’il a parcouru, tout en considérant que chaque cas est différent ;
  • un psychologue, qui rappelle des éléments de la psychologie humaine et aide la personne à comprendre ce qui se passe chez elle ou chez son conjoint, de manière plus ou moins consciente ;
  • un thérapeute,  formé à l’écoute et aux diagnostics thérapeutiques, qui peut aider une personne à se libérer de ses pathologies qui ont une influence sur le présent ;
  • un médiateur, maîtrisant les techniques pour lever les obstacles dans le dialogue rompu entre deux personnes ou groupes ;
  • Un arbitre, mandaté par les deux parties, chargé de décider d’un compromis qui lui semble juste ;
  • un juge mandaté par la société pour dire le droit par rapport à la loi ;
  • un voyeur, qui se nourrit de la souffrance des autres pour oublier la sienne, un peu comme les détraqueurs décrits dans Harry Potter ;
  • un chercheur qui essaye de comprendre les blocages de la société actuelle par rapport au mariage et d’apporter une contribution à la réflexion.
  • …/…

En dehors des juges et des arbitres, dont je ne connais pas le métier,  je crois pour ma part que le principal secret des accompagnants est leur capacité à ne pas juger, en considérant que la frontière entre le bien et le mal ne passe pas seulement entre les êtres, mais dans le cœur de chacun d’eux, et en particulier en eux-mêmes.

Pour appuyer cette approche étonnante, que j’ai découverte bien tard dans ma vie, je voudrais citer trois auteurs parmi d’autres qui furent mes maîtres :

  • Soljenitsyne  nous dit que c’est au Goulag qu’il a pris conscience que : la frontière entre les forces du bien et du mal ne passent pas uniquement entre les nations et les parties, mais en notre propre cœur ;
  • Etti Hillesum écrivait e, septembre 1942 dans ses cahiers : Quand on veut avoir une influence morale sur les autres, il faut s’attaquer sérieusement à sa morale personnelle. […]  Notre unique obligation morale, c’est de défricher en nous-mêmes de vastes clairières de paix et de les tendre de proche en proche, jusqu’à ce que cette paix irradie vers les autres ;
  • Jean-Jacques Samuel : Il ne s’agit pas de refuser la violence, ni de s’y opposer, car elle est présente en nous aussi, mais d’élaborer une autre approche, constructive, et d’en imprégner notre mode de vie. Utiliser l’énergie des émotions pour transformer la violence en tendresse.

Examinons maintenant en quoi consistent les métiers de ceux qui font profession d’accompagner les personnes en difficulté dans leur couple.


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Source de l’image : pinterest.com

[1] Je n’oublierai jamais cette femme qui priait au Sanctuaire marial d’Abidjan, parce que son mari s’apprêtait à la quitter pour une autre, en prétextant qu’elle était une sorcière puisqu’elle avait donné naissance à un enfant handicapé. Je n’oublierai pas non plus cet homme que sa femme avait planté, en rentrant chez sa mère, tout en lui laissant la charge des enfants en bas âge, dont il ne pouvait s’occuper sans abandonner son travail et ses revenus.

[2] La loi française n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, définit la violence psychologique en des actes répétés, qui peuvent être constitués de paroles et/ou d’autres agissements, d’une dégradation des conditions de vie entraînant une altération de la santé physique ou mentale.

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